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Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2009-2010
Compte rendu intégral
Première séance du mercredi 2 décembre 2009
Simplification et amélioration de la qualité du droit Suite de la discussion d’une proposition de loi Discussion des articles (suite) |
Avant l’article 29 M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques, n os 201, 202 et212. La parole est à M. Daniel Goldberg, pour soutenir l’amendement n°201. M. Daniel Goldberg. Nous souhaitons, par le biais de ces amendements, revenir sur le sujet du délit de solidarité. La question, depuis que nous en avons débattu dans l’hémicycle au printemps, a évolué du fait de l’action du Gouvernement, puisque celui-ci a rendu publique il y a peu une circulaire visant à corriger certains aspects de la loi. C’est un premier aveu de la part du Gouvernement du fait que la loi méritait d’être précisée au moins dans son application. Je rappelle que l’article L.622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que « toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France sera punie d’un emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 30000 euros ». Lors de nos débats, le Gouvernement affirmait que ce délit de solidarité n’existait pas. Force est pourtant de constater, du fait de l’existence même de la circulaire, que la loi méritait d’être précisée. Nous avons donc souhaité utiliser le présent débat de simplification du droit pour modifier la loi, plutôt que de nous en remettre à une circulaire. À l’époque, le ministre Éric Besson déclarait que le délit de solidarité n’avait jamais été appliqué, que personne n’était condamné à ce titre dans notre pays. Or je connais des exemples, que je tiens à la disposition du Gouvernement comme de l’ensemble de nos collègues, d’un certain nombre de décisions administratives, donc prises par le Gouvernement lui-même, sur la base de l’article L.622-1 tel qu’il est aujourd’hui rédigé. Je vous lis la notification reçue par une citoyenne de ma circonscription: « Madame, vous avez formulé une demande en vue d’acquérir la nationalité française. Après examen de votre dossier de naturalisation, j’ai décidé d’ajourner votre demande d’un an. En effet, vous avez aidé au séjour irrégulier de votre conjoint de 2001 à 2007 et vous avez ainsi méconnu la législation relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France. » Il s’agit d’une décision administrative prise par les services de l’État sur la seule base de l’article L.622-1. Cette femme qui demande la nationalité française est en situation régulière depuis plusieurs années. Le seul fait qui lui est reproché est d’avoir hébergé son conjoint entre2001 et 2007, le père de ses enfants, alors que celui-ci est aujourd’hui lui aussi en situation régulière. M. le président. La parole est à Mme Catherine Coutelle, pour soutenir l’amendement n°202. Mme Catherine Coutelle. J’ai participé au débat avec le Gouvernement, fin avril, sur le délit de solidarité. À l’époque, le ministre faisait valoir qu’il n’y avait pas de délit de solidarité en France, que cela n’existait pas et que le CESEDA était très clair. Or, depuis le 16 octobre, il a reconnu qu’il existait un « flou législatif » qui ne permettait pas de savoir « où s’arrête exactement l’action humanitaire ». Et il a annoncé une circulaire. Mais une circulaire ne fait pas le droit et laisse place à l’arbi traire. Il faut donc sortir de cette situation. Puisque nous discutons d’un texte destiné à améliorer la qualité du droit, je crois que nous en avons ce soir la possibilité. Il faut également se reporter à la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui vient de voter à l’unanimité, le 19 novembre, un rapport nous alertant sur le fait que la France, qui affirme défendre les droits de l’homme internationalement, est en contradiction avec sa législation sur le sujet. Non seulement nous sommes en contradiction avec les principes internationaux, mais nous ne sommes pas non plus en conformité avec la législation européenne ni même avec nos principes constitutionnels. La Commission considère donc que nous devrions modifier la loi. En particulier, lorsque le Parlement a transcrit une directive européenne de 2002, il l’a fait de manière restrictive, l’aide humanitaire ayant été exclue; c’est ainsi que des citoyens peuvent, dans ce domaine, être inquiétés. D’ailleurs, vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, car il me semble bien avoir lu dans les journaux qu’une famille a été inquiétée à Mulhouse. Je vous demande donc, afin de rassurer les bénévoles, les associations qui travaillent sans rémunération dans le domaine de l’accompagnement des populations en situation illégale, d’inscrire dans la loi que leur action n’est pas un délit. Tel est l’objet de ces amendements, qui modifient les articles L.622-1 et L.622-4 du CESEDA. J’espère que nous allons enfin, ce soir, saisir l’occasion de légiférer sur ce sujet douloureux. M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement n°212. M. Jean Mallot. Cet amendement a pour objet de supprimer le délit de solidarité. Nous souhaitons rouvrir le débat car, contrairement aux allégations de M. Besson à l’époque, ce délit de solidarité existe bien et est sanctionné, que ce soit par des juridictions ou des décisions administratives. Je vous lis, à titre d’exemple, un courrier du directeur de cabinet du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, en réponse à l’un de nos collègues dont l’attention avait été appelée sur la situation d’une dame résidant à La Courneuve: « L’examen des éléments versés à son dossier ne permet pas de donner satisfaction à cette personne. En effet, cette dame a aidé au séjour irrégulier du père de ses enfants, nés en2003 et2007, devenu son conjoint en 2007, en infraction à la législation relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France. Aussi une décision d’ajournement à un an lui sera-t-elle prochainement notifiée. À l’issue de cette période, et seulement à l’issue de cette période, cette dame pourra renouveler sa demande auprès de la préfecture de son département de résidence sans constituer un nouveau dossier, en signalant les modifications éventuellement intervenues dans sa situation familiale et professionnelle. » Si ce n’est pas la démonstration qu’il existe des sanctions à ce que l’on appelle le délit de solidarité, je ne sais pas lire! Il faut que ces cas, incontestables, soient pris en considération, et qu’il soit porté remède à une situation que nous considérons injustifiée, injuste et inacceptable. M. le président. Quel est l’avis de la commission? M. Étienne Blanc, rapporteur . La commission a émis un avis défavorable sur ces amendements, qui reprennent en fait la proposition de loi n°1542 de M. Daniel Goldberg. Tout d’abord, l’amendement prévoit, pour entrer en voie de sanction contre l’auteur des faits, une condition de rémunération. C’est affaiblir considérablement les dispositifs de lutte contre les filières clandestines puisque, la rémunération étant souvent intervenue dans un pays étranger, l’on aurait énormément de difficultés à en apporter la preuve. Ensuite, cette modification serait justifiée par la nécessité de protéger les personnes qui viennent en aide de façon désintéressée aux étrangers en situation irrégulière. Je rappelle que cette notion vient d’être encadrée par une circulaire de politique pénale du 20 novembre 2009, qui précise toute une série de critères, notamment des critères humanitaires faisant référence à des dangers graves et imminents, à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique. La circulaire indique que les critères doivent être interprétés « largement sans se limiter au seul péril immédiat stricto sensu encouru par l’étranger ». Nous pensons que cette disposition suffit. Enfin, la commission a constaté que vous entendiez accorder à l’ensemble des salariés ou bénévoles des établissements sociaux et médico-sociaux une immunité générale. Autant dire que vous déshabillez tout le dispositif de lutte contre les filières clandestines. À ce titre, l’amendement pose d’ailleurs un problème constitutionnel, puisqu’une telle immunité ne peut se justifier. M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement? M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Le rapporteur a rappelé à juste titre que le délit d’aide au séjour est le seul moyen que nous ayons pour lutter contre ces filières criminelles. Il n’est donc pas question de le remettre en cause. Quant à la circulaire du 20 novembre, qui prévoit une immunité pour l’aide humanitaire, elle vise à encadrer des décisions qui restent placées sous le contrôle du juge. M. Jean Mallot. Mais ce n’est qu’une circulaire! M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Vous le savez comme moi: dans le droit français, les circulaires, qui sont adressées aux procureurs, ont une réelle autorité. M. Jean Mallot. Oui, mais elles ne font pas le droit! M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Et les cas, que vous avez cités, survenus l’un dans votre circonscription, l’autre dans ma ville, sont survenus avant sa diffusion, qui est très récente. M. Daniel Goldberg. C’est exact. M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Il faut un peu de temps pour qu’elle parvienne à ses destinataires et qu’elle soit prise en compte. Nous veillerons à ce que cette disposition, dont nous avons besoin, ne soit pas appliquée de manière abusive. Le texte, qui émane de la Garde des sceaux, précise qu’en application des dispositions existantes, les parquets ne doivent pas engager de poursuites pénales à l’encontre des membres des associations fournissant des prestations qui visent à assurer des conditions de vie dignes et décentes à des étrangers en situation irrégulière. Nous considérons par conséquent qu’il n’est pas nécessaire de modifier la loi, tout en restant vigilants sur la manière dont elle est appliquée pour corriger d’éventuels dysfonctionnements. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons pas vous suivre: ce serait nous priver du moyen de lutter contre des filières qui exploitent certains êtres, parfois dans les pires conditions. Avis défavorable. M. le président. La parole est à M. Daniel Goldberg. M. Daniel Goldberg. Il va de soi que les passeurs ou les filières qui prospèrent sur la détresse humaine doivent être poursuivis et lourdement sanctionnés. Mais c’est précisément parce que la loi doit permettre de différencier les passeurs et ceux qui agissent par solidarité que nous proposons de la modifier. L’article L.622-1 du CESEDA dispose que toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour en France d’un étranger en situation irrégulière peut être poursuivie. Suivent, à l’article L.622-4, certaines exceptions qui ne vous ont pas semblé suffisantes, puisqu’il a fallu rédiger une circulaire qui prévoit encore d’autres cas. Dans notre hémicycle, monsieur le secrétaire d’État, nos paroles font foi, et elles engagent des décisions juridiques et administratives. Je vous demande donc si, aux termes de la circulaire du 20 novembre, un étranger qui a fait une demande de naturalisation française pourra se la voir refuser au seul motif qu’il aura accueilli son conjoint en situation irrégulière. Cette précision, qui figurera au compte rendu de nos débats, permettra de lever une ambiguïté. J’en viens à présent aux arguments du rapporteur. Celui-ci a parlé d’une aide « contre rémunération », mais l’expression utilisée dans notre amendement est plus large. Nous envisageons une aide « à titre onéreux », sa contrepartie pouvant intervenir, par exemple, sous forme de travail. Si les filières prospèrent sur la détresse humaine, c’est que s’opèrent des échanges qui peuvent être de toute nature. M. le rapporteur a également prétendu que tous les cas étaient prévus dans la circulaire. C’est faux. Nous en avons cité qui n’y figurent pas. Enfin, il nous a reproché de vouloir accorder une immunité totale à tous les travailleurs sociaux des établissements et services visés à l’article L.312-1 du code de l’action sociale et des familles, c’est-à-dire des établissements publics reconnus par l’État. Mais notre proposition ne vise à soustraire aux sanctions pénales que les salariés et bénévoles qui « agissent dans le cadre de ces établissements et services ». S’ils venaient à déroger à leurs règles, ils seraient susceptibles d’être poursuivis. Ainsi, nous considérons que les arguments qui nous ont été opposés ne sont pas recevables. J’ajoute que le rejet de l’amendement maintiendrait le délit de solidarité dans notre droit, ce qui serait contraire aux dispositions de la directive européenne de 2002. M. le président. La parole est à M. Étienne Pinte. M. Étienne Pinte. Étant vraisemblablement le seul député naturalisé de notre Assemblée, je tiens à m’expliquer sur l’amendement. À mon sens, en refusant la nationalité française à une femme étrangère vivant en situation régulière, qui avait abrité son conjoint, un préfet s’est rendu coupable d’un excès de pouvoir. Je regrette qu’aucun recours consécutif à sa décision n’ait été entrepris devant une juridiction administrative, car celle-ci l’aurait vraisemblablement annulée. Par ailleurs, c’est seulement si le tribunal administratif s’était prononcé que l’on aurait pu parler de « délit de solidarité », mais, dès lors que les juridictions n’ont pas été saisies, il subsiste un doute sur la qualification éventuelle de l’infraction commise. (Les amendements identiques n os 201, 202 et212 ne sont pas adoptés.) M. le président. Je suis saisi de cinq amendements identiques, n os 145, 151, 147, 152 et 153. La parole est à M. Jean-Michel Clément, pour soutenir l’amendement n°145. M. Jean-Michel Clément. Si le but du texte est de simplifier et d’améliorer la qualité du droit, nous créons également le droit et revisitons certaines dispositions. À ce titre, nous proposons de supprimer l’article 26 de la loi du 29 juillet1881 sur la liberté de la presse. Cet article qui, alors qu’on l’avait pratiquement oublié, a récemment défrayé la chronique, caractérise le délit d’offense au chef de l’État. Celle-ci ne peut plus prendre aujourd’hui les formes qu’elle avait au XIX e siècle. En outre, la sanction qui lui est attachée est démesurée. Enfin, loin de garantir au chef de l’État le respect des citoyens, ce délit crée au contraire une suspicion inutile. M. Vidalies a rappelé hier soir toutes les raisons qui le rendent inapproprié. Pourtant, cette incrimination est aujourd’hui récurrente, et justifie qu’on poursuive des militants associatifs, politiques ou syndicaux, dont la liberté d’expression se trouve ainsi entravée. Mieux vaut donc nous aligner sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme du 25 juin 2002 relative aux chefs d’État étrangers. Serait-il acceptable que, dans notre pays, le droit ne soit pas le même pour le traitement du chef de l’État français et des chefs d’État étrangers? La suppression de l’article 26 de la loi du 29 juillet1881 ne ferait qu’honorer notre Assemblée. (« On ne voit pas en quoi! » sur les bancs du groupe UMP.) M. le président. La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour soutenir l’amendement n°151. M. Dominique Raimbourg. Le délit d’offense au chef de l’État doit se comprendre à la lumière de l’évolution constitutionnelle. Quand la loi de 1881 a été promulguée, le Président de la République était au-dessus du débat politique. (« Pourquoi? » sur les bancs du groupe UMP.) Dès l’instant qu’il n’existe plus de chef de l’État au sens que la III e République donnait à ce terme, c’est-à-dire d’homme qui, comme le Président de la République allemand ou italien, incarne la continuité de l’État et la nation en s’abstenant d’entrer dans le débat politique, le délit d’offense empiète sur les libertés publiques. L’évolution de la V e République est telle qu’il n’existe plus de chef de l’État, mais deux chefs de Gouvernement, l’un à l’Élysée et l’autre à Matignon. Dans ces conditions, loin de se justifier, le délit d’offense au chef de l’État devient une atteinte potentielle à la liberté d’expression. M. le président. La parole est à M. Olivier Dussopt, pour soutenir l’amendement n°147. M. Olivier Dussopt. Dès lors que le chef de l’État s’abstient d’entrer dans le débat politique, donc dans l’activité partisane, dès lors qu’il évite, par exemple, de lancer des campagnes électorales devant une formation politique, le délit d’offense est légitime. Mais aujourd’hui, du fait de la présidentialisation, voire de l’hyperprésidentialisation de la V e République, le chef de l’État est aussi un chef de parti et même presque un chef de Gouvernement, dont l’autorité nuit à celle du chef de Gouvernement en titre. Dès lors, le délit d’offense ne se justifie plus. Plus grave, il apporte une protection supplémentaire au chef de l’État quand il entre dans le débat politique, comme tout parlementaire, ministre ou président d’exécutif local. Cette protection introduisant une forme d’inégalité, nous proposons de la supprimer. M. le président. La parole est à M. Jean Mallot, pour soutenir l’amendement 152. M. Jean Mallot. Le délit d’offense au chef de l’État est une survivance du crime de lèse-majesté, qui porte en elle-même la raison de sa suppression. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard s’il était tombé en désuétude sous la présidence de M. Giscard, de M. Mitterrand ou de M. Chirac. Ce n’est sans doute pas un hasard non plus s’il redevient d’actualité. Pour mériter le respect qui rend ce délit caduc, le Président de la République doit agir en conséquence. Pardon de le répéter: il devrait être au-dessus de ce débat. Mais, dès lors qu’il traite un de nos concitoyens de « pauvre con », il s’expose à un retour de bâton. Autre exemple: récemment le Président de la République, remettant la Légion d’honneur à l’acteur-réalisateur Dany Boon, tenait ces propos… étranges: « Vous êtes né fils d’un Kabyle marié à une catholique picarde, d’un boxeur devenu chauffeur routier. Ça commençait pas terrible, il faut bien reconnaître les choses. » Et encore: « Vous avez déjà choisi la fiction contre la réalité en préférant le nom de Dany Boon au très joli nom qui était le vrai, Daniel Hamidou. Bon, ça s’aggravait de plus en plus. Eh oui, Hamidou, va faire une carrière avec ça! » On peut comprendre que nos concitoyens picards, kabyles d’origine, ou routiers, se sentent insultés par ces écarts de langage. (Protestations sur les bancs du groupe UMP.) Il n’est pas digne qu’un Président de la République s’exprime en ces termes: il sape le respect de nos concitoyens à son égard. C’est regrettable et c’est pourquoi nous proposons cet amendement. M. le président. La parole est à M. Philippe Vuilque pour défendre l’amendement n°153. M. Philippe Vuilque. Au cours de la discussion générale, Alain Vidalies a démontré de façon remarquable l’inutilité, désormais, de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881. A l’époque, le Président de la République ne participait pas à la vie politique nationale comme le fait aujourd’hui le chef de l’État qui joue aussi le rôle de chef de gouvernement. Alors, il incarnait la nation, au-dessus des partis politiques, et c’est cette fonction que protégeait la loi de 1881. Mais désormais, dans toute manifestation – et elles se font rarement pour soutenir le Gouvernement – on lance des noms d’oiseau contre tous les responsables, y compris le Président de la République. Si, chaque fois que la presse les reprend, le Président de la République fait appliquer la loi du 29 juillet 1881, où allons-nous? Cela n’a plus rien à voir avec les pratiques de notre époque. L’article en question est obsolète et le supprimer, c’est très exactement simplifier le droit. M. le président. Quel est l’avis de la commission? M. Étienne Blanc, rapporteur . En entendant hier M. Vidalies, on pouvait trouver que l’argument qu’il développait s’imposait. Evidemment, on peut développer toute une série d’arguments contraires pour ne pas supprimer le délit d’offense au chef de l’État. La commission a émis un avis défavorable sur ces amendements. La question aurait mérité un vrai débat. L’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 punit l’offense au Président de la République dans le but de protéger sa fonction de représentant de toute la nation. Il s’agit d’une infraction datant de 1819. M. Alain Néri. Depuis, il est passé de l’eau sous les ponts. M. Étienne Blanc, rapporteur . Ce n’est pas parce qu’une infraction est ancienne qu’elle est obsolète; notre code pénal en contient bien d’autres exemples. Prétexter l’évolution de nos institutions n’est pas un argument suffisant pour justifier la suppression pure et simple de ce délit. M. Vidalies s’est appuyé sur une comparaison entre cet article 26 et l’article 36, désormais supprimé, de la loi de 1881, relatif à l’offense à un chef d’État étranger. La Cour européenne des droits de l’homme a en effet considéré que les dispositions de cet article 36 étaient disproportionnées au regard de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme. Selon ce dernier, l’exercice de la liberté d’expression « comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, etc. » Il y a donc bien des dispositions dérogatoires. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré que, pour les chefs d’État étrangers, les dispositions de l’article 29 de la loi de 1881 en matière de diffamation et d’injure étaient suffisantes. Seraient-elles suffisantes aussi pour le chef de l’État français? Le sujet mérite un vrai débat de fond. On peut en effet considérer que l’on est bien ici dans le cadre des exceptions énumérées par l’article 10 de la convention « qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre. » Il pourrait y avoir un débat en commission pour examiner si le délit qui figure aujourd’hui dans le code est proportionné aux dispositions de l’article 10 de la convention. M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement? M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. En complément des arguments développés par le rapporteur, je rappelle d’abord qu’il n’y a pas d’augmentation des poursuites de ce chef: depuis 1993, une seule condamnation a été prononcée sur ce fondement et la chancellerie n’a pas connaissance de poursuites en cours. Ensuite, cette incrimination n’est pas contraire à la jurisprudence européenne et il appartient aux juridictions françaises de se conformer aux exigences de la Cour de Strasbourg en étudiant, en cas de poursuite, si les conditions de la bonne foi ou de l’ exceptio veritatis sont réunies. Enfin et surtout, la démocratie exige le respect des personnes et des institutions et le délit d’offense au chef de l’État protège celui-ci de manière proportionnée contre tout propos injurieux et diffamatoire. J’observe d’ailleurs que la peine prévue est la même en cas de diffamation envers un parlementaire ou une personne investie de l’autorité publique. Vous avez semblé, en la matière, un peu nostalgiques de ce qu’était le président sous la IV ème République et fait des comparaisons avec des chefs d’État étrangers qui n’exercent pas vraiment le pouvoir. Mais désormais, dans nos institutions, le chef de l’État – et ce n’est pas propre au président actuel – représente toute la nation et exerce aussi une vraie responsabilité, un vrai pouvoir. Et ce n’est pas parce qu’il ne manie pas la langue de bois qu’il ne doit pas être respecté. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.) M. Jean Mallot. « Racaille », ce n’est pas de la langue de bois, c’est sûr. M. le président. La parole est à M. Alain Néri. M. Alain Néri. Le rapporteur et le secrétaire d’état ne m’ont pas convaincu. Monsieur le rapporteur, si vous souhaitiez vraiment un débat en commission, il fallait voter la motion de renvoi déposée par le groupe GDR. D’autre part, monsieur Bockel, nous ne sommes pas des nostalgiques, mais plutôt des progressistes, et vous le savez bien. A nos yeux, l’évolution du rôle du chef de l’État est naturelle, s’il respecte la Constitution. Et au passage, je vous signale que vous n’avez pas de chance d’avoir mis ce texte à l’ordre du jour aujourd’hui: nous sommes un 2 décembre, anniversaire d’un coup d’État qui a mis à bas la République. M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Et alors? M. Alain Néri. Eh bien, il y a eu un changement de comportement du chef de l’État depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. M. Michel Hunault. Oh! M. Alain Néri. Je plains M. Fillon et un certain nombre de ministres: ils sont pratiquement réduits à exercer des emplois fictifs! M. Sébastien Huyghe. Ce n’est pas le sujet. M. Alain Néri. Le Président de la République a tous les pouvoirs, il décide, il parle et fait taire les autres. Il ne tient plus le rôle qui était celui du président Coty, ni même du président Pompidou, du président Mitterrand ou du président Chirac. Il est directement dans la mêlée. Et quand on est dans la mêlée, les sportifs le savent, on distribue des coups, mais on risque d’en recevoir. Si le Président de la République veut être respecté, il devrait commencer par s’abstenir d’injurier les citoyens! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) M. le président. La parole est à M. Michel Hunault. M. Michel Hunault. Au nom du groupe Nouveau centre, je m’oppose à cette série d’amendements. J’ai écouté avec beaucoup d’attention l’opposition arguer que pour simplifier le droit, il fallait s’en tenir à l’essentiel. Et à quoi assiste-t-on? À la défense d’une série d’amendements visant la personne du chef de l’État. Vous faites tout pour critiquer et affaiblir la fonction du chef de l’État. On pourrait espérer mieux de l’opposition, de vraies propositions d’amélioration par exemple. Vous préférez revenir sur la notion d’offense au chef de l’État. Comme mes collègues du Nouveau centre, j’estime que la fonction mérite le respect. Vous déversez un tombereau d’injures sur le Président de la République. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) M. Daniel Goldberg. Quelles injures? M. Michel Hunault. Depuis deux ans et demi, vous ne cessez d’attaquer sa personne. C’est ridicule, et nous nous opposons à ces amendements. (Applaudissements sur les bancs des groupes NC et UMP.) ……….. Article 29 M. le président. Mme Delphine Batho a demandé à s’exprimer sur l’article 29. Mme Delphine Batho. Une section relative aux fichiers de police a été introduite dans la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit. Pour notre part, si nous pensons qu’il est absolument nécessaire de légiférer en la matière, nous estimons que ce sujet ne relève, en aucun cas, ni de la simplification ni de l’amélioration de la qualité du droit. La proposition de loi adoptée à l’unanimité par la commission des lois au mois de juin dernier et repoussée, mardi dernier, par nos collègues de la majorité aurait, en revanche, constitué un véhicule législatif parfaitement adéquat, puisqu’elle proposait d’opérer une totale refonte du cadre juridique des fichiers de police. Je constate d’autre part que la méthode employée pour légiférer a des conséquences sur le fond. En effet, certains des articles de cette proposition de loi – je pense en particulier à son article 29 bis – dénaturent totalement les propositions du rapport d’information sur les fichiers de police adopté par la commission des lois le 4 mars 2009, qui avaient pourtant été émises de façon consensuelle. Nous regrettons profondément que la majorité ait décidé de s’opposer à la proposition de loi dont nous avons débattu la semaine dernière. Puisque ce sujet est traité dans celle qui est en cours d’examen, nous défendrons toutefois un certain nombre d’amendements. Il reste qu’un trouble profond demeure après la décision prise par Brice Hortefeux de publier deux décrets dans le dos du Parlement, alors que les parlementaires voulaient légiférer. Une nouvelle pétition « Non à Edvige! » a déjà recueilli plus de cinq mille signatures en quarante-huit heures! Malheureusement, notre débat n’épuisera pas le sujet, mais je trouve regrettable que bon nombre de nos collègues aient renié ce qui, sur cette question, constituait pourtant la volonté du Parlement. En tout état de cause, compte tenu du nombre d’articles de ce texte qui portent sur les fichiers de police, nous demandons que l’on fasse venir dans l’hémicycle le ministre de l’intérieur, Brice Hortefeux. Alors qu’il est directement concerné, il tente d’esquiver pour la seconde fois le débat avec le Parlement; nous demandons qu’il soit présent. M. le président. Madame Batho, pouvons-nous considérer que vous avez défendu l’amendement n°187? Mme Delphine Batho. Monsieur le président, tous les amendements sur les fichiers de police seront défendus un par un. M. le président. Mais, ma chère collègue, vous avez la parole. Mme Delphine Batho. L’amendement n°187 vise à revenir à la version initiale de l’article 29 de la proposition de loi. Le rapporteur a fait adopter en commission un amendement qui récrit l’article 29 en s’inspirant de l’avis du Conseil d’État. Je signale d’ailleurs que nous ne disposons pas de la totalité de cet avis mais seulement d’un document partiel. Ce matin, la commission des lois a procédé à l’audition du président de la CNIL. La modification introduite par notre rapporteur pose deux problèmes. Tout d’abord, la procédure prévue serait extrêmement lourde puisqu’elle ne porterait pas sur les fichiers mis en œuvre pour le compte de l’État, mais sur l’ensemble des fichiers visés par le rapport annuel de la CNIL. Ensuite, la procédure relativement souple que nous avions imaginée, avec Jacques-Alain Bénisti, dans notre rapport d’information sur les fichiers de police visait à mettre fin au dialogue de sourds auquel se livraient la CNIL et le ministère de l’intérieur. Il s’agissait en quelque sorte, grâce à la souplesse de cette procédure, de les forcer à dialoguer. L’actuel article 29 propose une procédure beaucoup plus formelle et statique, qui ne sera pas favorable à un tel dialogue. L’amendement n°187 revient à l’esprit et à la lettre des propositions que nous avions formulées de façon consensuelle dans notre rapport d’information. M. le président. Quel est l’avis de la commission? M. Étienne Blanc, rapporteur . Madame Batho, je ne peux pas vous laisser dire que l’avis du Conseil d’État sur la proposition de loi n’a pas été communiqué. À la page160 de mon rapport, vous trouvez l’intégralité de cet avis concernant les dispositions de l’article 29. Elles portent sur le caractère contradictoire du rapport public annuel de la CNIL, et sur la pluralité de la composition de cette institution. Les seuls avis qui n’ont pas été rendus publics sont ceux qui concernent des articles retirés de la proposition de loi par son rédacteur. C’est bien son droit de ne pas communiquer l’avis du Conseil d’État relatif à des articles qu’il a rédigé mais qu’il ne présente plus. J’en viens maintenant à l’amendement n°187: la commission y est défavorable. L’article 29 vise à renforcer le caractère contradictoire de la procédure car, selon le Conseil d’État, les formes du contradictoire n’étaient pas suffisamment respectées dans la version initiale de la proposition de loi. En récrivant l’article, nous nous sommes très largement inspirés de ce qui est exigé en la matière pour les rapports de la Cour des comptes. Contrairement à ce que vous prétendez, la nouvelle rédaction constitue une amélioration par rapport à la version initiale. M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement? La parole est à M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. Avant de donner la position du Gouvernement, je veux préciser à Mme Batho que la Garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, ainsi que la Chancellerie sont les garants de l’application de la loi relative à la CNIL, et de l’ensemble des dispositions concernant les fichiers, que nous examinons aujourd’hui. En tant que représentant de la Garde des sceaux, je suis donc bien la personne appropriée pour débattre de ce sujet. Le Gouvernement, que vous avez critiqué dans son ensemble, est favorable à la démarche de la commission des lois. Les fichiers de police constituent des outils indispensables d’aide à l’enquête et d’organisation des unités qui en sont chargés; qui le contestera? Toute la chaîne de la sécurité est concernée par ces logiciels et ces bases de données, des services enquêteurs au fonctionnement des juridictions, jusqu’aux établissements pénitentiaires. Il est vrai que, par nature, les traitements en question sont sensibles en termes de libertés publiques. Tout fichier est une forme d’atteinte à la liberté totale, mais pour une cause que nous pouvons tous comprendre et partager. C’est pourquoi la plus grande vigilance doit être apportée à la création de ces fichiers; c’est notre souci permanent. La loi « Informatique et libertés » a constitué une grande avancée lorsqu’elle a été adoptée, il y a maintenant plus de trente ans. Depuis, de nombreux fichiers ont vu le jour, ce qui justifie d’ailleurs de modifier son article 26. Confier au législateur la charge de déterminer de manière exhaustive les finalités qui autorisent la création de fichiers de police me semble constituer une avancée en matière de protection des libertés individuelles plutôt qu’un recul. Je rends hommage au rapporteur et au travail de la commission. C’est grâce au dialogue qui s’est instauré entre nous que le Gouvernement est aujourd’hui favorable à la démarche entreprise. L’amendement n°187 aurait pour effet d’empêcher l’administration de s’opposer, lorsqu’un intérêt public majeur sera en jeu, à la publication dans le rapport annuel de la CNIL de ses réponses aux observations formulées par celle-ci. Il existe des bases de données relatives à la lutte contre le terrorisme, véritable sujet dans la société contemporaine, pour lesquelles nous ne pouvons pas rendre nos observations publiques. Nous en faisons part à la CNIL et à la commission du renseignement, mais elles ne doivent pas être publiées. Concernant des fichiers relatifs à la sécurité publique, à la sûreté de l’État ou à la défense, cet amendement revient à mettre en cause une prérogative commandée, selon nous, par l’intérêt général. En conséquence l’avis du Gouvernement est défavorable. M. le président. La parole est à Mme Delphine Batho. Mme Delphine Batho. Ma remarque portait sur l’ensemble de l’avis du Conseil d’État et pas seulement sur la partie relative à l’article 19 de la proposition de loi. Peut-être ai-je mal compris ce qui se passait, mais, lorsque je travaillais avec Jacques-Alain Bénisti, les réunions de travail et de coordination avec le Gouvernement sur le texte de notre proposition de loi ne se tenaient pas place Vendôme, mais place Beauvau! Par ailleurs, on sait le poids qu’a eu le ministre de l’intérieur, notamment pour dénaturer l’article 5 de notre proposition de loi. Enfin, même si c’est Michèle Alliot-Marie qui avait pris les premiers décrets Edvige, je ne crois pas que ce soit elle qui ait pris les décrets du 18 octobre dernier. C’est pourquoi, nonobstant la compétence de la Garde de sceaux pour ce qui relève de la loi « Informatique et libertés », nous pensons qu’il serait utile que le ministre de l’intérieur soit présent. Monsieur le secrétaire d’État, je n’ai pas compris votre remarque sur l’amendement n°187. En effet, les fichiers que vous évoquez, comme celui de la direction centrale du renseignement intérieur, sont couverts par le secret défense: on ne trouve donc pas mention de ces derniers dans le rapport annuel de la CNIL. Je ne vois donc pas du tout en quoi un tel argument pourrait nous être opposé. M. le président. La parole est à M. Michel Hunault. M. Michel Hunault. Je souhaite m’exprimer contre l’amendement n°187. Mme Batho pose une vraie question, mais M. le secrétaire d’État, qui représente le Gouvernement dans cet hémicycle, vient de préciser les intentions de ce dernier, et de mettre en évidence l’enjeu de cet important débat dont les lignes de clivages sont loin d’être celles qui partagent traditionnellement l’hémicycle. De quoi parlons-nous? D’un instrument mis au service de la sécurité du pays. Monsieur le secrétaire d’État, vous nous avez dit combien vous-même et Mme la ministre d’État étiez particulièrement vigilants en matière de préservation des libertés. Nous sommes parvenus à un texte d’équilibre qui tend à concilier, d’une part, l’exigence de sécurité et de prévention des atteintes à la sûreté de l’État ainsi que des actes de terrorisme, et, d’autre part, la préservation des libertés essentielles auxquelles nous sommes tous attachés. Il y a bien une obligation d’encadrer les fichiers en termes de contenu. Nous ne pouvons pas nous exonérer du débat qui s’est déroulé, grâce à l’opinion publique, mais aussi au débat engagé dans certains partis, dont le Nouveau centre, sur la nécessité d’en exclure des données à caractère personnel sans rapport avec des exigences de sécurité intérieure. Ce débat a également eu lieu au sein de certains partis politiques, dont le nôtre. J’appelle à rejeter l’amendement de Mme Batho, me fondant sur les précisions que vient d’apporter M. le secrétaire d’État. (L’amendement n°187 n’est pas adopté.) (L’article 29 est adopté.) |