Catégories: Assemblée Nationale, Budget-Finance, Institutions, Interventions en réunion de commission
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Mercredi 13 avril 2011
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 50
La séance est ouverte à 9 heures 30.
Présidence de M. Sébastien Huyghe, vice- président.
La Commission examine, sur le rapport de M. Jean-Luc Warsmann, le projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques (n° 3253).
M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Ce projet de révision de la Constitution vise à nous doter de nouveaux outils juridiques pour contribuer au redressement des finances publiques, à un moment où les pays européens se sont donné pour objectif de renforcer leurs règles de gouvernance en la matière.
Si la réduction des déficits publics est d’abord une question de volonté politique, le fait de se doter d’un cadre juridique est un moyen de montrer à nos partenaires européens notre détermination à tenir nos engagements, et à nos créanciers le sérieux de notre gestion budgétaire : les taux d’intérêt actuellement exigés par les marchés pour prêter à la Grèce, à l’Irlande ou au Portugal montrent que tout doute quant à la crédibilité d’un État coûte extrêmement cher. C’est aussi un devoir vis-à-vis des générations futures, auxquelles nous ne devons pas transmettre la charge toujours plus lourde de nos dettes.
Ce projet de loi constitutionnelle, fruit des travaux du groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus et de ceux du ministre du budget, M. François Baroin, a pour premier objet de définir une nouvelle catégorie de loi, les « lois-cadres d’équilibre des finances publiques ». À la différence des actuelles lois de programmation des finances publiques, ces lois-cadres seraient obligatoires ; discutées selon la même procédure que les lois de finances, elles s’imposeraient partiellement aux lois financières annuelles. Le Conseil constitutionnel pourrait donc censurer une loi de finances ou une loi de financement de la sécurité sociale qui méconnaîtrait la loi-cadre.
En deuxième lieu, le projet vise à étendre le domaine exclusif des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale à l’ensemble des prélèvements obligatoires – autrement dit à leur donner le monopole sur ce sujet.
Enfin, il nous est proposé d’introduire dans la Constitution un article 88-8 selon lequel les projets de programme de stabilité seraient adressés à l’Assemblée nationale et au Sénat avant leur transmission aux institutions de l’Union européenne.
Mon travail de rapporteur s’est organisé autour de trois idées forces : renforcer la crédibilité de notre pays en matière financière ; établir des règles de gouvernance permettant de préserver les intérêts à moyen et long terme de notre pays ; garantir l’efficacité du Parlement – car je suis bien loin de partager l’idée que réduire son rôle à la portion congrue permettra d’améliorer la situation. J’ai la conviction au contraire que la solution se trouve dans un meilleur équilibre de nos institutions en matière financière.
Je vous propose ainsi, tout d’abord, de compléter le nouvel article 88-8 de la Constitution, pour permettre au Parlement de prendre position sur le programme de stabilité. En effet, une simple transmission de ce texte au Parlement est d’autant plus insuffisante que, depuis cette année, ce programme est adressé par le Gouvernement à la Commission européenne au printemps. Le projet de loi de finances qui nous est présenté à l’automne en est largement la conséquence ; or la compétence financière constitue le cœur de la mission d’un Parlement. La procédure assez souple que je vous propose, à l’instar de celle en matière de résolutions européennes, permettrait au Parlement de se prononcer, soit au niveau d’une commission permanente, notamment la commission des finances, soit à l’issue d’un débat dans l’hémicycle, au cas où le Gouvernement ou un groupe parlementaire en ferait la demande.
En deuxième lieu, il me paraît nécessaire de compléter le dispositif des lois-cadres d’équilibre des finances publiques proposé par le Gouvernement. Le projet renvoie à une loi organique le soin de préciser notamment, parmi les dispositions des lois-cadres, celles qui s’imposeront aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Cela signifie que sans loi organique, la révision constitutionnelle n’aura aucune réalité. C’est pourquoi je vous propose, premièrement, d’indiquer dans la Constitution que la loi-cadre fixe, pour chaque année, un minimum de recettes et un maximum de dépenses, « tunnel » qui s’imposera aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Deuxièmement, il convient de prévoir ce qu’il adviendrait en cas d’écart par rapport aux montants fixés : le Gouvernement évoque dans l’exposé des motifs une « fongibilité entre plafonds de dépenses et mesures nouvelles en recettes », mais, en contrepartie, il est essentiel à la crédibilité de la règle de préciser que les écarts constatés doivent être compensés. Troisièmement, je vous propose que les lois-cadres soient élaborées pour au moins trois années. J’avais initialement pensé qu’elles pourraient avoir la durée d’une législature, dès lors qu’elles relèvent de la compétence politique d’une majorité – qui, au demeurant, conservera la capacité, en cas de circonstances exceptionnelles, de modifier la loi-cadre qu’elle a adoptée – ; mais la discussion avec mes collègues rapporteurs de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, saisies pour avis, a abouti à un accord sur cette formule.
Enfin, je vous propose de supprimer les dispositions qui établissent un monopole des lois financières en matière de prélèvements obligatoires. Ce dispositif, censé rendre de la vertu à notre pays en matière financière, interdirait aux parlementaires d’introduire toute disposition à caractère fiscal ou touchant aux cotisations sociales dans des textes autres que les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale. À l’occasion de toute réforme, le monopole empêcherait de débattre des moyens financiers. Cette impossibilité est contraire au rôle même du Parlement : nos concitoyens ont fait la Révolution il y a deux siècles pour que leurs représentants élus consentent à l’impôt. Au demeurant, au cours des années passées, moins de 20 % des dispositions fiscales ou touchant aux cotisations sociales ont été votées en dehors d’une loi de finances ou d’une loi de financement de la sécurité sociale.
La bonne solution n’est pas le monopole, mais le principe que je vous ai proposé de compensation des écarts : si dans le cadre d’une loi sur le logement, le Parlement vote une exonération d’impôt, celle-ci va entraîner une diminution des recettes ; il faudra alors proposer de nouvelles recettes pour assurer la compensation. À l’occasion de son audition jeudi dernier, le professeur Guy Carcassonne a fait observer en outre que l’introduction du principe de monopole devrait conduire à modifier l’article 20 de la Constitution, dès lors que ce ne serait plus le Gouvernement qui déterminerait et conduirait la politique de la nation, mais le ministre du budget.
La voie que je vous propose est conforme aux conclusions retenues par les pays qui ont travaillé sur ce sujet. Il est bien de définir un « tunnel » de recettes et de dépenses, mais il faut prévoir le dispositif applicable en cas d’écart ; quant au Parlement, il ne faut pas lui interdire de travailler, mais au contraire lui permettre de jouer tout son rôle et, ainsi, de contribuer à la crédibilité de nos finances publiques.
………
M. Michel Hunault. Je soutiens totalement l’objectif de ce texte, ayant été moi-même l’auteur d’une proposition de loi organique du même ordre qui avait recueilli la signature de 150 députés, dont l’actuel ministre du budget.
Cependant, face à l’ampleur de la crise financière et économique sans précédent que nous traversons, j’ai été de ceux qui ont voté les plans de relance et autres mécanismes de soutien, qui ont aggravé les déficits. Je m’interroge donc sur l’indication figurant dans l’exposé des motifs du projet, selon laquelle « le Gouvernement s’est fermement engagé à respecter la trajectoire de déficits publics inscrite dans la loi de programmation des finances publiques, quelles que soient les conditions économiques. » Ne faudrait-il pas prévoir qu’en cas de circonstances exceptionnelles, il sera possible de conserver des marges de manœuvre ?
……
M. le rapporteur. Je rassure Michel Hunault : en cas de crise, il sera loisible à la majorité de modifier la loi-cadre pour l’adapter aux circonstances. Cela signifie que le Gouvernement, pour sortir du « tunnel » qui avait été fixé, devra en faire voter l’autorisation par le Parlement, selon le jeu de la responsabilité politique au sens le plus noble.
……….
La Commission examine ensuite l’amendement CL 16 du rapporteur.
M. le rapporteur. C’est l’amendement relatif à l’examen par le Parlement du programme de stabilité transmis par le Gouvernement.
La Commission adopte l’amendement.
En conséquence, l’amendement CL 4 de M. Michel Hunault n’a plus d’objet.
La Commission adopte l’article 12 modifié.
Article 13 : Entrée en vigueur :
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL 17 et CL 18 du rapporteur.
Suivant l’avis défavorable du rapporteur, la Commission rejette l’amendement CL 5 de M. Michel Hunault.
Puis elle adopte l’article 13 modifié.
Enfin elle adopte l’ensemble du projet de loi constitutionnelle modifié.