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Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Mardi 15 février 2011
Séance de 18 heures 15
Compte rendu n° 38
La séance est ouverte à 18 heures 15.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
La Commission procède à l’audition, ouverte à la presse, de M. Michel Mercier, Garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés sur les carences des décisions de justice pénale :
M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le ministre, vous êtes venu nous présenter les deux rapports d’inspection qui vous ont été remis hier et qui révèlent, nous semble-t-il, des carences en matière d’organisation administrative, qui se sont traduites par la non-affectation de certains dossiers à un conseiller d’insertion et de probation et la définition de priorités. Ces rapports révèlent également un défaut de suivi en sortie de prison ayant entraîné une rupture de la continuité des soins psychiatriques, une absence de coordination entre les milieux fermé et ouvert et une sous-utilisation de l’application informatique APPI.
Monsieur le ministre, cette audition doit être également l’occasion d’échanger sur l’exécution des décisions de justice. Nous avons créé en juillet 2007 une mission d’information, où sont représentés tous les groupes parlementaires : elle a adopté aujourd’hui à l’unanimité le rapport de M. Étienne Blanc.
La Commission des lois est convaincue de la nécessité de renforcer dans notre pays la prévention de la lutte contre la récidive, qui passe d’abord par l’exécution des décisions de justice pénale. Lorsqu’une décision de justice n’est pas appliquée ou lorsqu’elle est appliquée trop tardivement, elle perd son sens à la fois pour le condamné et pour la victime, quand elle ne met pas en danger la société.
La loi du 9 mars 2004 a introduit dans le code de procédure pénale l’article 707 qui prévoit la mise à exécution « de façon effective et dans les meilleurs délais » des décisions de justice.
Dans cette perspective, nous avions travaillé sur l’exécution des peines de prison, notamment en matière correctionnelle. En cas de comparution immédiate – quelque 25 000 jugements –, le prononcé d’une peine prison ferme entraîne l’incarcération : il y a donc continuité entre la décision du tribunal et son exécution, contrairement aux décisions prises dans le cadre d’une convocation par un officier de police judiciaire – 200 000 affaires en 2008 – ou d’une citation directe. En 2004, nous avons voté une disposition visant à mettre fin à la discontinuité entre le prononcé de la peine et son exécution : l’article 474 du code de procédure pénale prévoit la mise à exécution d’une peine de prison prononcée en correctionnelle dans un délai de trente jours. La loi prévoit également que, lorsque le condamné est présent, la convocation lui est remise en main propre à l’audience afin que rendez-vous soit pris aussitôt pour définir les conditions de la mise à exécution.
Or, la loi n’est pas appliquée : 50,7 % des peines d’emprisonnement ferme prononcées dans les sept juridictions d’Île-de-France ont été mises à exécution la première année en 2005, 53,7 % en 2006, 58,7 % en 2007, mais seulement 35,1 % en 2008 et 42,6 % en 2009 : on ne peut pas continuer ainsi ! La difficulté de faire baisser la délinquance est liée, en partie, aux carences dans la mise à exécution des peines prononcées.
Dès 2003 et 2004, nous avons également travaillé sur les sorties « sèches ». Si un prisonnier sort de prison de manière abrupte et est renvoyé vers le milieu dans lequel il a commis son infraction, le risque de récidive est très élevé. Le nombre de sorties sèches est passé de 43 696 en 2000 à 62 853 en 2009, soit une augmentation de 44 %, qui n’est pas sans poser un grave problème pour le pays – voyez l’affaire de Nantes –, en termes de coordination de tous les intervenants, juge de l’application des peines, service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), milieu ouvert, milieu fermé, suivi informatique.
Il convient également d’évoquer le suivi effectif à la sortie de prison, notamment le suivi socio-judiciaire, introduit dans les années 1990 et que nous avons étendu de la délinquance sexuelle aux infractions les plus violentes. Il fait entrer en action le juge d’application des peines, qui décide du suivi, le médecin coordonnateur, qui définit le type de soins, et le médecin traitant, qui les prodigue. Le choix du législateur était le bon. Or, à ce jour, il n’y a pas de médecins coordonnateurs dans 34 tribunaux de grande instance et 16 départements n’en disposent pas. De plus 70 médecins coordonnateurs interviennent sur plusieurs départements, ce qui n’est pas sans conséquence sur leur disponibilité. On peut donc affirmer que, dans près de la moitié des juridictions françaises, le suivi socio-judiciaire et la coordination médicale ne sont pas réellement assurés, ce qui préoccupe vivement la Commission des lois.
Monsieur le ministre, la terrible affaire de Nantes doit être l’occasion de prendre des mesures urgentes pour que les lois que nous avons votées, certaines à l’unanimité, soient correctement appliquées. Il existe, outre des problèmes d’organisation et de cohérence informatique, des problèmes de moyens. Personne n’ignore la pénurie budgétaire actuelle : toutefois la Commission des lois est unanime à réclamer la mise en place rapide d’un plan d’urgence en faveur de l’exécution des décisions de justice pénale, doté de moyens à la hauteur des enjeux.
Comme le taux de perception des amendes contentieuses s’est amélioré d’un point par an depuis 2002 – un point représente 40 millions d’euros –, je suggère de faire de l’exécution des décisions de justice pénale la priorité de la fin de la législature et d’y consacrer les sommes ainsi dégagées. On peut espérer améliorer le taux de recouvrement des amendes contentieuses de trois points d’ici au 31 décembre 2012, ce qui permettrait de dégager près de 120 millions d’euros pour financer ce plan exceptionnel en faveur de l’exécution des peines.
Un tel financement, à coût constant pour les finances publiques, permettrait à chaque tribunal, à chaque service d’exécution des peines ou à chaque service pénitentiaire d’insertion et de probation de mieux fonctionner. C’est en redoublant de volonté que nous réussirons à renforcer la lutte contre la récidive et donc à améliorer la sécurité.
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Le rapport de l’inspection des services judiciaires ainsi que celui de l’inspection des services pénitentiaires, diligentés à la suite de l’affaire de Nantes, révèlent de nombreux dysfonctionnements qui sont, de toute évidence, la manifestation des problèmes que vous avez évoqués.
Il s’agit là d’un meurtre particulièrement atroce : s’il n’est toujours pas possible de célébrer les obsèques de la jeune fille, c’est qu’on n’a pas encore retrouvé toutes les parties de son corps. L’émotion publique était donc légitime et on doit à la mémoire de la victime et à ses proches une analyse loyale des dysfonctionnements, en vue d’y remédier. Je pense également au jeune enfant de Tony Meilhon. C’est du reste en raison de son attitude lors d’une audience relative à la garde de son petit garçon, qu’il avait été condamné, en 2009, pour la dernière fois, pour outrage à magistrat avec mise à l’épreuve.
Le premier rapport porte sur le fonctionnement du tribunal de grande instance de Nantes et ses rapports avec la Cour d’appel et le second sur le fonctionnement du service pénitentiaire. Ces deux rapports ont une vocation plus large que l’étude du seul cas Meilhon.
Du reste, ce cas n’apporte aucun éclairage particulier sur le fonctionnement du TGI de Nantes, tribunal important doté d’un effectif théorique de 48 juges du siège. Le rapport montre que, de 2008 à 2011, ce chiffre a toujours été atteint, voire dépassé, sauf pendant deux mois. En revanche, sur la même période, le nombre des juges de l’application des peines a été inférieur d’un à deux à l’effectif théorique, qui est de quatre. Or, de 2008 à 2011, les discussions budgétaires entre le tribunal, la Cour et la chancellerie ne font jamais ressortir la moindre demande du tribunal en faveur du service de l’application des peines. Les seules demandes visaient à combler des temps partiels au profit du tribunal civil.
Durant la même période, non seulement une seule demande de juge placé du TGI de Nantes au Premier président de la Cour d’appel de Rennes a concerné le service de l’application des peines, mais, de plus, le juge a été affecté non pas à ce service mais à la rédaction des jugements. Le tribunal a donc toujours favorisé le civil au détriment du pénal.
Par ailleurs, dès sa nomination, le président du TGI de Nantes, aujourd’hui décédé, a délégué toutes ses fonctions relatives à l’organisation de sa juridiction à la première vice-présidente. Il n’a exercé que des fonctions juridictionnelles. C’est la première vice-présidente qui dialoguait avec les magistrats référents des services du TGI et avec la secrétaire générale de la Cour d’appel de Rennes. J’ai l’intention d’interroger le Conseil supérieur de la magistrature sur ce point, non pas dans un objectif disciplinaire mais au titre de l’article 65 de la Constitution, qui permet au ministre de la justice d’interroger le CSM sur la déontologie et le fonctionnement des juridictions. Le dernier Conseil supérieur de la magistrature a publié un livret sur la déontologie : une des dispositions interdit à un juge de déléguer la totalité de ses fonctions à un de ses collègues. Or, c’est ce qui s’est passé à Nantes.
Je tiens à ce que le CSM, lorsqu’il nommera des premiers présidents et des présidents de juridiction, ait bien à l’esprit qu’il s’agit d’une tâche spécifique : il leur incombe non seulement d’être capables de bien juger, mais également de diriger un tribunal ou une Cour d’appel. Comme la nomination des présidents de tribunaux ou des premiers présidents de Cour d’appel appartient au CSM – le pouvoir exécutif ne fait que signer les nominations sans aucun droit de regard –, et que les procédures disciplinaires relèvent également du CSM, je tiens à me placer uniquement sur le plan de l’organisation. Un président de juridiction doit exécuter correctement toutes ses tâches.
Pourquoi le CSM ne procéderait-il pas à des évaluations ? C’est ce qui a manqué au TGI de Nantes. Nous pouvons également nous demander pourquoi le premier président de la Cour d’appel de Rennes, qui siège actuellement à la Cour de cassation et est sur le point de partir à la retraite, n’a pas davantage porté attention à la situation du TGI de Nantes : un premier président de Cour d’appel est également chargé du fonctionnement de toutes les juridictions de son ressort. Qu’on me comprenne bien : je ne cherche pas à désigner des coupables mais à comprendre l’origine des dysfonctionnements.
Je tiens à préciser que les juges de l’application des peines de Nantes ont fait correctement leur travail. Le rapport n’émet aucune critique à leur encontre. S’agissant de Meilhon, dont la sortie était prévue le 24 février 2010, le juge de l’application des peines a coté son dossier dès le mois de septembre 2009, et y a inscrit à la main « Urgent – Avertir le SPIP pour la prise en charge ». Ce dossier papier a été transmis en octobre au service pénitentiaire d’insertion et de probation de Nantes. Je tiens également à préciser le point technique suivant, car il me paraît essentiel : dans le dossier figurait l’extrait de casier B 1, qui recense toutes les condamnations du prisonnier. Or, très souvent, cet extrait ne figure pas dans les dossiers transmis au SPIP. J’ai l’intention de le rendre obligatoire. Il suffisait donc de lire le dossier avec attention pour savoir que Tony Meilhon était un multirécidiviste condamné quinze fois, une fois pour viol et agression sexuelle et plusieurs fois pour violences. Les dysfonctionnements éventuels du TGI de Nantes ne concernent donc pas l’affaire Meilhon.
Tony Meilhon a passé 11 ans, en prison, soit une grande partie de sa vie. Condamné d’abord pour violences par le tribunal pour enfants, il a été incarcéré dans la cellule d’un délinquant sexuel – un « pointeur ». Condamné ensuite par la Cour d’assises pour mineurs de Loire-Atlantique pour agression sexuelle et viol sur ce dernier, il a alterné séjours en prison et sorties de quelques semaines, mais, lorsqu’il est sorti, le 24 février 2010, le SPIP ne l’a pas soumis au sursis.
En prison, Meilhon a fait l’objet d’un excellent suivi de la part du SPIP et du service médical – notamment sur le plan psychiatrique. En septembre et novembre 2009, le dossier de saisine parvient, au sein du même du SPIP, au milieu ouvert. Cependant, à la sortie de Meilhon, le lien entre les deux milieux ne se fait pas : le suivi en milieu fermé cesse, le rapport y afférent ne parvient au milieu ouvert que 43 jours plus tard et le suivi en milieu ouvert ne sera pas mis en œuvre.
Pourquoi ? La circulaire de 2008 relative aux SPIP prévoit expressément que les directeurs de ceux-ci déterminent les moyens d’action de leurs services et l’ordre de priorité du traitement des dossiers, en fonction de la situation des personnes concernées et des moyens du service. À Nantes, une note du directeur du SPIP place les sursis avec mises à l’épreuve au dernier rang des priorités du service – ce qui revient à dire qu’il ne s’agit pas de priorités –, sauf pour certains délinquants, notamment sexuels. Or, on n’ouvre pas le dossier de Meilhon et, faute d’avoir pris connaissance du casier B1, on ne retient que l’outrage à magistrat : le dossier rejoint alors le tas de ceux qui ne sont pas considérés comme prioritaires.
On n’a trouvé aucune trace d’un suivi médical à partir de la sortie de Meilhon. On sait aussi, comme je viens de l’expliquer, qu’aucun suivi n’a été assuré par un conseiller d’insertion et de probation.
Il est probable que le SPIP de Loire-Atlantique n’était pas doté de moyens suffisants pour assurer ce suivi – ce qui explique sans doute la décision du directeur quant à l’ordre de priorité des dossiers. Sur la période 2009-2010, l’effectif cible du SPIP de Loire-Atlantique était de 31 personnes, dont 10 pour le milieu fermé et 21 pour le milieu ouvert – l’effectif réel étant plutôt, pour ce dernier, de l’ordre de 16,5. En 2009, la Chancellerie a attribué à ce SPIP quatre postes pour combler le déficit du milieu ouvert. Sur ces quatre postes, trois seulement sont pourvus, faute de candidats. Le directeur du SPIP affecte ces trois postes au milieu fermé et sort de ce dernier deux personnes – l’une travaillant à 80 % du temps, l’autre bénéficiant d’une décharge syndicale de 70 %, pour les affecter au milieu ouvert. Au bout du compte, le milieu ouvert ne reçoit que 0,8 emploi en équivalent temps plein. Il apparaît ainsi que la culture du SPIP est une culture du milieu fermé et que la culture du milieu ouvert reste à construire.
Le SPIP de Loire-Atlantique a connu de nombreux problèmes, à commencer par un fort absentéisme – 31 % de l’effectif cible, et donc un taux plus élevé par rapport à l’effectif réel. Il a en outre connu, pour la période qui nous intéresse, trois directeurs : au départ du premier, l’intérim a été confié à une dame certainement pleine de bonne volonté, mais qui n’était visiblement pas à la hauteur du poste, puis a été nommé, fin 2009, un directeur qui, après quelques semaines, a demandé un audit méthodologique et organisationnel, transmis à la Chancellerie par l’intermédiaire du directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes.
Ce rapport, qui a reçu l’aval de la direction de l’administration pénitentiaire et a été réalisé par l’inspection générale des services pénitentiaires, formule 77 recommandations, dont un grand nombre n’ont pas été mises en œuvre, comme celle qui demande expressément l’affectation de tous les dossiers. Malgré la demande du directeur de l’administration pénitentiaire, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes ne prend aucune mesure d’appui en faveur du SPIP de Nantes, lequel doit se débrouiller – ce qu’il fait en laissant tout simplement les dossiers s’entasser. Le nombre de ces dossiers est du reste difficile à chiffrer : d’une centaine au départ du premier directeur, leur nombre augmente dans une proportion inconnue durant l’intérim, puis la mission d’inspection en compte manuellement 690 non attribués, parmi lesquels celui de Meilhon.
On constate également que l’informatique est très peu utilisé. Ainsi, les responsables de la direction interrégionale de Rennes déclarent ne pas utiliser le logiciel API, qui permet aux magistrats du suivi des peines et aux services de probation, qui l’alimentent les uns et les autres, de partager les informations relatives aux personnes sortant du milieu carcéral. À Nantes, on n’utilise guère davantage ce logiciel. Le dossier Meilhon y figure cependant et les magistrats constatent à la fin de 2009 qu’un conseiller est désigné pour suivre ce dossier. Il s’agit cependant d’une affectation virtuelle et le sursis n’a en réalité jamais été mis en œuvre. Du reste, le logiciel sera ensuite nettoyé de ces affectations virtuelles par la mission d’inspection.
Les analyses qui se dégagent du rapport d’inspection suscitent évidemment des interrogations quant à l’action individuelle de certains agents. Ainsi, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes n’a pas donné suite à l’instruction claire qu’il avait reçue du directeur de l’administration pénitentiaire, et les préconisations du rapport d’audit demandé n’ont pas été mises en œuvre. De même, le classement des dossiers était contraire aux dispositions de la circulaire de 2008 instituant les services pénitentiaires de probation et d’insertion, qui prévoyait expressément que le degré de priorité des dossiers ne pouvait être fixé qu’après une analyse de la personnalité des probationnaires, fondée sur des critères sociologiques et criminologiques, et que les dossiers ne pouvaient en aucun cas être classés selon la nature de l’infraction commise. De fait, dans le dossier Meilhon, le B1 permettait de comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une simple affaire d’outrage à magistrat.
Au demeurant, un suivi de Meilhon n’aurait pas forcément empêché qu’il commette son crime. Il ne s’agissait ici, je le rappelle, que de relever des dysfonctionnements.
M. le président Jean-Luc Warsmann. Monsieur le garde des sceaux, souhaitez-vous vous exprimer sur le problème général de l’exécution des peines ?
M. le garde des sceaux. L’exécution des peines est la première urgence de ce ministère. Les personnes condamnées à des peines de prison et qui n’effectuent pas ces peines sont aujourd’hui plus nombreuses que celles qui se trouvent en prison – 62 000 contre 105 à 110 000.
M. Bernard Roman. Le nombre de personnes qui n’effectuent pas leur peine de prison n’est-il pas plutôt de 82 000 ?
M. le garde des sceaux. Ce chiffre n’intègre pas les calculs de la Cour d’appel de Paris, qui ont été communiqués plus tard. En tout état de cause, c’est beaucoup trop et il faut absolument faire exécuter les peines.
Les magistrats ne sont pas du tout laxistes. Ils appliquent la loi telle que vous l’avez votée. Cependant, le fait qu’une personne notoirement condamnée pour une infraction soit toujours présente dans le voisinage est très mal perçu par la population. Cette situation crée un vrai fossé entre les citoyens et la justice, et il faut y remédier.
Il existe plusieurs façons d’exécuter une peine et nous n’allons certes pas créer 170 000 places de prison. Il faut relancer les travaux d’intérêt général pour les courtes peines – et je rencontrerai à ce propos les associations d’élus. Il faut également s’intéresser aux bracelets et à la surveillance électronique extérieure. En effet, on compte aujourd’hui 5 000 bracelets statiques et 43 bracelets mobiles seulement – voici quelques jours, j’ai constaté qu’il n’y avait à Corbas, qui est pourtant un centre important, que deux bracelets de ce type. J’ai donné instruction d’atteindre le chiffre de 12 000 bracelets d’ici à la fin de l’année, ce qui est à la fois beaucoup et fort peu. Les bracelets n’ont jusqu’à présent donné lieu à aucun incident, mais nous devons nous préparer à ce qu’il s’en produise, ce qui est inévitable lorsque 30 000 bracelets auront été installés. Un incident ne justifiera pas cependant que nous renoncions à ce dispositif – nous n’en aurons d’ailleurs pas les moyens.
J’ai entrepris de visiter pratiquement toutes les prisons existantes et je suis surpris de constater que des établissements qui avaient été déclarés insalubres et que nous nous apprêtions à raser sont devenus d’un coup beaux et agréables. Il est amusant d’observer que les détenus que je rencontre ne veulent à aucun prix les quitter. C’est par exemple le cas de la prison d’Aurillac, qui ne dispose pourtant pas même d’un parloir. Cet établissement accueille de nombreux détenus venus d’Ardèche – département au sud duquel la culture d’herbes aromatiques fournit en abondance les prisons – et qui n’ont pas trouvé de place à Privas. La prison d’Aurillac a même été jugée favorablement par les commissions qui s’y sont rendues. La prison de Lure, quant à elle, est devenue si belle qu’elle a obtenu le label européen. À Agen, les détenus ne voulaient pas partir non plus – et, de fait, les évasions sont rares … Nous allons définir d’ici juin le nombre de places de prison dont nous voulons disposer, en conservant certains établissements qu’il était prévu de détruire.
Le fait de conserver toutes les prisons que nous pourrons a bien évidemment des conséquences en termes de moyens. En effet, celles qui devaient fermer représentaient 1 400 postes que nous sommes tenus de conserver, en créant donc de nouveaux postes pour les prisons en cours de construction. Nous ne dépasserons cependant pas un total de 70 000 à 75 000 places – ce qui est déjà beaucoup – et il faudra donc trouver d’autres moyens d’exécuter les peines.
Je vais prendre des mesures d’urgence en dotant 14 juridictions, avec des contrats d’objectifs, de moyens supplémentaires pour résorber le nombre des condamnations non exécutées. Il est cependant vraisemblable que ce qui sera résorbé d’un côté se traduira ailleurs par d’autres peines non exécutées.
Je me réjouis que l’Assemblée nationale travaille sur cette question. En effet, tout en découvrant avec enthousiasme ce ministère passionnant, j’en découvre aussi la sous-administration chronique et le manque de moyens. Ce dernier est du reste historique et, malgré les efforts du gouvernement actuel en termes de construction de prisons, de dotations budgétaires et de créations de postes, nous restons loin du compte. J’ai entendu avec intérêt votre proposition de trouver des crédits et j’espère que cette procédure est parfaitement légale dans le cadre de la LOLF.
……..
M. Michel Hunault. Je voudrais tout d’abord remercier le président de notre Commission et le garde des Sceaux pour cette réunion, qui est un moment de vérité.
Il était bon de rappeler, à un moment où la magistrature et l’ensemble de la chaîne pénale ont besoin d’être confortés par la représentation nationale, que les magistrats ne sont pas laxistes. Je salue donc vos propos, monsieur le garde des Sceaux. Cela étant, les chiffres cités par notre président ne manquent pas de nous interpeller. Nous devons aux victimes d’améliorer l’exécution des peines. Il y va de la crédibilité de la justice. Tel était le sens de la question au Gouvernement que j’ai posée cet après-midi.
Sous le contrôle de Philippe Houillon et d’André Vallini, qui étaient respectivement président et rapporteur de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, je rappelle que nous avions proposé d’améliorer la connaissance des personnes condamnées en renforçant l’informatisation du ministère de la justice. On peut penser que les carences de l’exécution des décisions de justice résultent en partie de cette méconnaissance. C’est une piste sur laquelle nous pourrions travailler ensemble, toutes tendances politiques confondues, afin d’améliorer la situation.
S’agissant des moyens consacrés à la justice, nous sommes classés au 37e rang par le Conseil de l’Europe, ce qui est un mauvais résultat. Toutefois, si la justice doit constituer une priorité, il n’y a pas que la question des moyens : il faut aussi améliorer les capacités de jugement et l’exécution des peines. Sur ce point, la loi pénitentiaire permet à une personne condamnée à deux ans d’emprisonnement d’exécuter sa peine à l’extérieur, ce qui peut être difficile à comprendre pour les victimes et leurs familles. Que l’on n’aille pas en prison au-delà d’une peine de deux ans le serait plus encore.
Je le répète, nous sommes à un moment de vérité. Il faudra apporter des réponses aux constats dressés aujourd’hui et à nos questions.
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