Catégories: Assemblée Nationale, Droits de l'Homme, Interventions en réunion de commission, Justice
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Mercredi 15 décembre 2010
Séance de 9 heures 30
Compte rendu n° 27
La séance est ouverte à 9 heures 30
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président.
M. le président Jean-Luc Warsmann. Lors de la réunion le 27 octobre dernier de la commission élargie sur la mission « Sécurité », en réponse à une question de notre collègue Delphine Batho, le ministre de l’Intérieur avait dit qu’il n’était pas hostile à l’idée de nous transmettre le rapport de l’inspection générale de l’administration sur les unités territoriales de quartier. Le ministre m’a communiqué hier ce rapport. Je ne manquerai pas de le transmettre à Mme Batho ainsi qu’à ceux d’entre vous qui le souhaiteront.
La Commission examine, sur le rapport de M. Philippe Gosselin, le projet de loi relatif à la garde à vue (n° 2855).
……
Article 1
La Commission examine ensuite l’amendement CL 108 de M. Philippe Houillon.
M. Philippe Houillon. Cet amendement tend à placer la garde à vue non pas sous le contrôle du procureur de la République, mais sous celui d’un magistrat du siège, le juge des libertés et de la détention : il n’appartient pas au parquet, qui est partie au procès, d’exercer le contrôle d’une mesure privative de liberté. C’est exactement ce que dit la Cour européenne des droits de l’Homme ; si nous n’optons pas pour cette solution maintenant, nous y viendrons plus tard car, chacun le sait bien, la France aura été à nouveau condamnée.
M. le rapporteur. Avis défavorable, bien sûr. La CEDH ne nous oblige nullement à faire appel à un juge du siège. Ne nous imposons pas de telles obligations, qui ne découlent pas davantage de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation !
M. Claude Goasguen. Je suis favorable à cet amendement, qui est dans la droite ligne de l’amendement précédent de Philippe Houillon. Ne croyez pas qu’en le rejetant, vous mettrez un terme au débat ! La Cour européenne, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation finiront tôt ou tard par considérer comme une exigence qu’un juge du siège gère et contrôle les procédures attentatoires à la liberté individuelle et aux libertés publiques. Je sais bien qu’une majorité ne se dessine pas en ce sens, mais une censure du dispositif, avec les conséquences qu’elle aurait dans l’opinion, serait un camouflet supplémentaire pour le Gouvernement. Mieux vaut anticiper que, comme l’habitude en a été prise, agir à la suite de décisions juridictionnelles !
M. Jean-Paul Garraud. La Cour européenne des droits de l’Homme n’a jamais exigé l’intervention immédiate d’un juge pour toute mesure privative de liberté ; elle a simplement précisé que la présentation à un juge devait se faire dans un délai maximal de quatre jours pour les affaires de terrorisme et de grande criminalité et de trois jours pour les affaires de droit commun. Le dispositif proposé dans l’amendement – le contrôle du JLD dès le placement en garde à vue – n’a rien à voir avec sa jurisprudence !
Par ailleurs, un tel contrôle poserait des problèmes pratiques. Pour toute demande de prolongation de la garde à vue, il faudrait s’adresser à un juge étranger au dossier, à qui il faudrait expliquer l’affaire, et qui ne serait pas obligé de rendre sa décision immédiatement. S’il décidait de la mettre en délibéré, la garde à vue tomberait d’elle-même et la société se trouverait désarmée face à de graves délits. Je comprends les bons sentiments, mais il faut aussi regarder la réalité en face.
M. Noël Mamère. Il ne s’agit pas de bons sentiments, mais de la suite à donner à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Et ce n’est pas parce qu’une telle mesure n’a pas été exigée qu’il faut nous dispenser de la prendre. Le nombre des gardes à vue a doublé en quelques années, la France est régulièrement condamnée par la CEDH qui, dans toute sa jurisprudence, souligne que le procureur n’est pas un juge. Il est donc nécessaire de faire intervenir un juge du siège, c’est-à-dire un magistrat indépendant, afin de mieux garantir les libertés. C’est pourquoi l’amendement de Philippe Houillon va dans le bon sens.
M. Dominique Raimbourg. Il ne faut pas confondre la « gestion » de la garde à vue et son contrôle. La première revient au procureur : c’est à lui que téléphonent les officiers de police ; en revanche, le contrôle – c’est-à-dire les décisions contradictoires concernant le contentieux de la garde à vue – doit relever du juge des libertés et de la détention. Chacun doit rester à sa place.
M. Dominique Perben. Lorsque nous en viendrons au détail du processus, il sera temps de préciser les rôles respectifs du procureur et du juge ; mais à cet endroit du texte, il me paraît imprudent d’affirmer d’emblée un principe dont l’interprétation peut prêter à confusion.
M. André Vallini. Une partie de la majorité essaie de ruser avec la Cour européenne des droits de l’Homme et de contourner sa jurisprudence. Philippe Houillon et Claude Goasguen ont raison : si l’on s’en tient à un texte a minima, la France sera, tôt ou tard, à nouveau condamnée.
Par ailleurs, je ne comprends pas ce qui vous gêne dans le fait de transférer le contrôle de la garde à vue d’un magistrat du parquet à un magistrat du siège. Il n’est pas question de gêner le travail des policiers ! Que craignez-vous ?
M. Philippe Houillon. M. Perben conteste l’opportunité de fixer un principe à cet endroit du texte, mais je ne fais que proposer de remplacer celui qui figure à l’alinéa 9 du projet, selon lequel « la garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République ». Comme l’a très bien dit M. Raimbourg, on confond deux choses différentes, et le contrôle lui-même doit évidemment être exercé par un juge du siège. Il vaut mieux ne rien écrire plutôt qu’affirmer un principe contraire aux exigences de la jurisprudence européenne.
Sur ce dernier point, monsieur Garraud, je vous renvoie à l’arrêt Moulin du 23 novembre 2010 de la CEDH, qui est extrêmement clair. Il rappelle que « La jurisprudence de la Cour établit qu’il faut protéger par un contrôle juridictionnel la personne arrêtée ou détenue parce que soupçonnée d’avoir commis une infraction » et précise que ce contrôle juridictionnel doit répondre à plusieurs exigences : la promptitude – et la Cour a jugé que le délai de quatre jours et six heures était trop long, mais elle n’a pas été saisie d’un délai de trois jours… –, le caractère automatique du contrôle et, s’agissant des caractéristiques et pouvoirs du magistrat, la nécessité que le magistrat n’exerce pas ensuite des poursuites à l’encontre de la personne concernée.
Si nous persistons à ignorer ses arrêts, la Cour de Strasbourg réagira. Nous ne pouvons pas à la fois nous gargariser d’être le pays des droits de l’Homme et ne pas suivre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
M. le président Jean-Luc Warsmann. La jurisprudence de la Cour européenne demande qu’une personne interpellée soit présentée avec promptitude et automaticité à un magistrat – au sens où l’entend la Cour, c’est-à-dire un magistrat du siège. Dans les arrêts les plus durs qu’elle a rendus, la Cour a estimé que trois jours et vingt heures constituaient à cet égard un délai trop long. Le texte proposé par le Gouvernement prévoit que la présentation devant un magistrat intervient au maximum au bout de quarante-huit heures : c’est incontestablement beaucoup plus rapide. On ne peut donc pas affirmer que le texte du projet de loi est contraire à la jurisprudence actuelle de la Cour – même s’il est vrai que celle-ci peut évoluer à tout moment.
M. Philippe Houillon. Il est en effet vraisemblable qu’un délai de quarante-huit heures sera compatible avec la jurisprudence de la Cour, mais l’objet principal de notre discussion concerne le principe, inscrit dans le projet de loi, d’un contrôle de la garde à vue par le parquet.
M. Jean-Paul Garraud. La semaine dernière, à l’occasion des questions au Gouvernement, j’ai interrogé le garde des Sceaux sur les conclusions à tirer de l’arrêt Moulin. Celui-ci, il faut le souligner, ne concernait pas une garde à vue mais une opération de transfèrement effectuée sur mandat d’amener.
S’agissant du contrôle de la garde à vue, je voudrais tout d’abord rappeler qu’un magistrat du parquet est bien un magistrat, non un obscur agent du pouvoir. Il présente le grand avantage de savoir de quoi il parle, puisque c’est lui qui dirige l’enquête de police. Il me paraît important que celui qui dirige cette enquête – et qui respecte les règles déontologiques de tous les magistrats – puisse assurer le contrôle de la garde à vue. Si certains ici estiment que les magistrats du parquet ne sont pas des magistrats, cela pose bien entendu un autre problème.
Quant au juge des libertés et de la détention, que la grande réforme de la procédure pénale devrait faire disparaître, il est totalement ignorant du dossier. Comment pourrait-il prendre des décisions au sujet de la garde à vue ? Le seul résultat sera l’absence de contrôle réel et la remise du dispositif entre les seules mains des policiers.
M. Charles de La Verpillière. Pour ma part, je ne voterai pas l’amendement de Philippe Houillon car il tire de l’arrêt Moulin des conclusions allant au-delà de ce qu’a jugé la CEDH. Cela étant, l’alinéa 9 de l’article 1er, selon lequel « la garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République », est peut-être inutilement provocateur. On pourrait le supprimer.
M. le président Jean-Luc Warsmann. Aucun amendement de suppression n’a été déposé. Le cas échéant, vous pourrez le faire pour la réunion de la Commission en application de l’article 88.
M. Claude Goasguen. On fait un mauvais procès à Philippe Houillon. Alors qu’il a bien souligné le caractère ponctuel de l’arrêt Moulin, vous en tirez, vous, des conclusions définitives au sujet du délai de présentation devant un juge.
Par ailleurs, personne n’a dit que le procureur n’était pas un magistrat : prétendre le contraire est une argutie. Le seul argument qui me paraît crédible concerne la gestion de la garde à vue. Mais celle-ci serait justement laissée au procureur ! La gestion, ce n’est pas le contrôle. Qu’est-ce qui vous inquiète tant dans l’idée qu’un juge, qui aura besoin d’une heure ou deux pour se mettre au courant, exerce son contrôle ?
M. Noël Mamère. Notre collègue Garraud mène un combat d’arrière-garde. Les normes juridiques européennes s’imposent aux normes françaises. Or la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme est incontestable : le procureur n’est pas considéré comme un magistrat au sens où l’est un juge du siège. En outre, il ne peut pas être le contrôleur de sa propre gestion. Le principe de séparation entre le contrôleur et le contrôlé impose que le premier soit un juge du siège, en l’occurrence le juge des libertés et de la détention.
Mme George Pau-Langevin. Indiscutablement, le contrôle ne peut pas être confié à la partie poursuivante. Certes, c’est le parquet qui dirige l’enquête, mais le contrôle doit être confié à une autre autorité. Ceux qui s’y opposent au motif que cela pourrait entraver le fonctionnement de l’enquête invoquent les mêmes arguments à l’encontre de la présence de l’avocat dès la première heure de garde à vue ou de la reconnaissance de certains droits de la défense. C’est, comme on l’a dit, un combat d’arrière-garde.
M. Sébastien Huyghe. Les positions de la CEDH s’inspirent de la tradition anglo-saxonne, celle d’une procédure accusatoire. C’est pourquoi sa jurisprudence, même si elle ne l’a pas encore affirmé clairement, tend vers le principe d’un contrôle de la garde à vue par un magistrat du siège. Mais en France, nous restons dans un système inquisitoire : le procureur de la République mène ses investigations à charge et à décharge. On ne peut donc pas adopter une position aussi définitive à son sujet.
M. Philippe Houillon. Je n’ai jamais dit, bien entendu, que les membres du parquet n’étaient pas des magistrats. Ce que je dis, c’est que l’on ne peut pas confier à la partie poursuivante le soin d’apprécier les conditions de la privation de liberté de la partie qu’elle poursuit.
M. Michel Mercier, garde des Sceaux, ministre de la justice et des libertés. Personne ne conteste que le procureur de la République soit un magistrat chargé de la protection des libertés individuelles. Le contrôle qu’il exerce sur la garde à vue est reconnu par le Conseil constitutionnel depuis 1993, et a d’ailleurs été confirmé par une décision de 2010. C’est la loi « Sapin-Vauzelle » du 4 janvier 1993 qui a inscrit dans l’article 41 du code de procédure pénale ce pouvoir de contrôle, renforcé par la loi « Guigou » de juin 2000.
En ce qui concerne le délai de présentation devant un juge, on peut difficilement, il est vrai, tirer une règle générale des décisions successives de la Cour européenne des droits de l’Homme. On peut cependant observer que la Cour a toujours accepté un délai inférieur à trois jours. Je signale qu’aux alentours de 13 heures aujourd’hui, la chambre criminelle de la Cour de cassation devrait rendre un arrêt précisant ce qu’est le procureur de la République.
M. Bernard Derosier. Alors suspendons la séance !
M. le ministre. C’est bien la première fois que l’on verrait le législateur attendre une décision de justice !
M. Bernard Derosier. C’est le Gouvernement qui l’attend !
M. le ministre. Vous le jugez donc trop enclin à écouter tout le monde, les parlementaires comme les juges !
M. le président Jean-Luc Warsmann. La loi se vote au Parlement, nous en sommes tous convaincus.
M. Jean-Paul Garraud. Je remercie le ministre d’avoir rappelé certaines réalités juridiques.
Certains de nos collègues, tout en reconnaissant que le procureur est un magistrat, affirment qu’il ne peut que « gérer » la garde à vue, et non la contrôler. J’aimerais que l’on m’explique la différence. Je suppose que la prolongation de la garde à vue serait de la compétence du juge des libertés et de la détention, mais alors de quelles opérations de « gestion » s’agit-il ?
Certes le procureur est la partie poursuivante, mais ce n’est pas une partie comme une autre : il défend l’intérêt général. C’est pourquoi il est normal qu’il puisse mener certaines opérations ne relevant pas de la simple gestion, mais du contrôle de la garde à vue.
M. Michel Hunault. Je suis favorable à l’amendement. Pourquoi sommes-nous ici ? Parce que dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, a mis le Gouvernement en demeure de réformer la garde à vue. La CEDH est chargée de veiller au respect de la Convention européenne des droits de l’Homme, laquelle s’impose à tous les pays. Si l’on veut se conformer jusqu’au bout à la jurisprudence de la CEDH, il faut adopter l’amendement de Philippe Houillon, que je voterai. Nous n’avons pas à rougir de notre bilan en matière de libertés publiques : en trois ans, nous avons instauré le contrôle des prisons, adopté la loi pénitentiaire, institué la question prioritaire de constitutionnalité et entrepris de réformer la garde à vue – mais sur ce sujet il ne faut pas rester à mi-chemin.
M. Dominique Perben. Pour répondre à Philippe Houillon, certes l’alinéa 9 donne le sentiment qu’il pose un principe ; mais les alinéas suivants précisent le rôle du procureur de la République dans la mise en œuvre de la garde à vue, sans poser de question de principe. Je m’interroge donc sur l’intérêt de cet alinéa 9, qui pourrait représenter un chiffon rouge pour le Conseil constitutionnel – alors que cela ne correspond pas exactement à ce qui est explicité ensuite. D’ailleurs, l’ambiguïté de notre discussion montre bien le problème : nous sommes tous d’accord pour que le procureur de la République intervienne au début de la garde de la vue et conserve ses prérogatives pendant 48 heures, avant de passer le relais au juge.
M. Étienne Blanc. Le problème posé par l’alinéa 9 est plutôt d’ordre rédactionnel. Sur le fond, nous sommes tous d’accord : la poursuite relève du parquet et le contrôle appartient au siège. Ne pourrait-on pas, lorsque la Commission se réunira au titre de l’article 88, préciser que la garde à vue s’exécute sous la « direction » – et non le contrôle – du procureur de la République ? Ainsi, les missions respectives du siège et du parquet seraient respectées. Cette clarification rendrait le texte plus conforme à la jurisprudence de la CEDH.
M. le président Jean-Luc Warsmann. Le rapporteur va y réfléchir.
La Commission adopte l’amendement CL 108.
…..
Article 2
La Commission examine ensuite l’amendement CL 28 de M. Noël Mamère.
M. Noël Mamère. Nous souhaitons supprimer la possibilité d’utiliser un moyen de communication audiovisuelle pour la présentation au procureur de la République. La personne doit en effet pouvoir s’expliquer librement, et non à distance et entourée par les enquêteurs.
M. le rapporteur. Avis défavorable, un peu de souplesse étant nécessaire.
M. Michel Hunault. Je ne suis pas favorable à cet amendement, mais je comprends les préoccupations de ses auteurs. Ce texte va nécessiter une adaptation des lieux de garde à vue. Comment envisagez-vous son application concrète, monsieur le garde des Sceaux ?
M. le ministre. Cette loi posera inévitablement des questions de moyens.
La Commission rejette l’amendement CL 28.