Catégories: Assemblée Nationale, Collectivités Territoriales, Interventions en réunion de commission
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Mercredi 5 mai 2010
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 56
Audition, ouverte à la presse, de M. Édouard Balladur, ancien Premier ministre, Président du Comité pour la réforme des collectivités locales
M. Édouard Balladur, président du Comité pour la réforme des collectivités locales. L’idée générale qui avait présidé à nos travaux était de déclencher une évolution fondamentale devant conduire à terme à une coopération plus étroite, non seulement entre les régions et les départements, mais également entre les communautés de communes et les communes. Nous avons exclu toute suppression d’un échelon d’administration locale, préférant la progressivité et l’incitation à l’obligation et à l’interdiction.
Nous avons élaboré un schéma dont les aspects juridiques portaient, notamment, sur la représentativité et le mode d’élection. Il comportait des incitations assez fortes au regroupement, notamment des départements ou des communes, tout en se montrant ambitieux pour la création de nouvelles métropoles et leur contenu.
Le Président de la République et le Gouvernement ont retenu, de ce rapport, l’inspiration générale ainsi que quelques modalités précises. Après le passage du projet de loi devant le Sénat, l’Assemblée nationale en est à son tour saisie.
Le texte est si dense que je préfère me limiter à trois points : le mode d’élection du conseiller territorial ; les compétences ; les questions relatives à l’autonomie communale, aux métropoles et à l’avenir des communautés de communes.
Je précise que je m’exprime à titre personnel et n’entends pas engager par mes propos le comité que j’ai présidé puisqu’il ne s’est pas réuni depuis la remise de son rapport, il y a une quinzaine de mois. Durant cette période, de nombreux événements se sont déroulés.
Le Sénat ayant adopté en première lecture la création du conseiller territorial, je tiens à rappeler la proposition initiale du comité relative à son mode d’élection : la représentation proportionnelle avec une prime accordée à la liste arrivée en tête. Le cadre de cette représentation proportionnelle n’aurait toutefois pas été départemental, mais infradépartemental, sauf pour les départements les moins peuplés. Ni le Gouvernement ni le Sénat n’ont repris cette proposition, au motif qu’elle aurait coupé le lien intime qu’il convient de maintenir entre les élus départementaux et les populations. Il faut donc trouver autre chose.
On a émis l’idée de combiner deux modes de scrutin : l’actuel système cantonal pour 70 % à 80 % des élus, et un système de liste pour les 20 ou 30 % restants. Toutefois, d’aucuns ont émis des réserves sur la constitutionnalité d’une telle combinaison, arguant qu’une assemblée ne pouvait être recrutée selon deux modes de scrutin différents. Tel est pourtant le cas du Sénat, dont, il est vrai, personne n’a jamais jugé de la constitutionnalité du mode de recrutement. Si d’aventure la constitutionnalité de l’élection des sénateurs était invoquée par le biais de l’exception d’inconstitutionnalité, la question se poserait en des termes différents. Pour ma part, je ne vois pas pourquoi la Constitution devrait interdire le recrutement mixte d’une assemblée. Du reste, le Sénat a adopté une disposition allant en ce sens et il appartiendra bientôt à l’Assemblée nationale de se prononcer sur le sujet.
À l’heure actuelle, aucune majorité ne semble se dessiner en tout cas pour voter la suppression du mode d’élection cantonal. Je le regrette, mais c’est un fait. Afin d’éviter une trop grande dissémination, certains seraient favorables à l’adoption d’un mode de scrutin comparable au scrutin présidentiel, dans lequel ne seraient habilités à demeurer présents au second tour que les deux candidats arrivés en tête au premier tour. Je crains qu’une telle disposition ne soit un peu brutale. À titre personnel, je préférerais une augmentation du pourcentage d’électeurs inscrits nécessaire pour se maintenir au second.
Deux problèmes se posent : celui de la représentation des forces politiques les moins importantes et celui de la parité.
C’est un fait : le scrutin uninominal s’accommode moins aisément de la parité que le scrutin de liste. Toutefois, si le raisonnement était poussé à son terme, dès lors que le principe de parité est inscrit dans la Constitution, seul le scrutin de liste serait légitime pour tous les types d’élection, ce qui ne manquerait pas de poser un problème pour l’élection présidentielle ! Il convient donc de trouver un système permettant de préserver autant que faire se peut le principe de parité. J’ai suggéré – il ne me semble pas que le Sénat ait retenu cette solution – que la parité soit exigée au sein des exécutifs locaux, ce qui, par voie d’extension, obligerait les partis à la respecter dans le choix des candidatures et donc au sein des assemblées délibératives. La loi pourrait également prévoir des sanctions financières à l’encontre des partis qui ne respecteraient pas la parité dans les candidatures. Cette solution est loin d’être entièrement satisfaisante – j’en conviens –, du fait qu’il existe de bonnes et de mauvaises circonscriptions et que le principe de parité des candidatures ne pourrait s’entendre que des circonscriptions dans leur ensemble.
En ce qui concerne les forces politiques les moins importantes, elles pourraient s’estimer maltraitées par le maintien d’un scrutin cantonal, surtout si le pourcentage des voix exigé pour se maintenir au second était augmenté. Il s’agit d’un problème politique, certes, mais également juridique, voire constitutionnel, sur lequel il vous appartiendra de délibérer.
Je me suis rallié au scrutin proportionnel dans le cadre départemental : je n’y étais pas favorable à l’origine, mais c’est celui qui présente le plus grand nombre d’avantages et je regrette qu’il ne soit pas en mesure d’être adopté. Il vous faudra donc aménager un scrutin majoritaire cantonal, qui appelle, me semble-t-il, un redécoupage de la carte des cantons, afin d’éliminer les distorsions les plus criantes. Ce faisant, il vous faudra décider également d’augmenter, ou non, le pourcentage des voix obtenues au premier tour, ou prévoir une part de proportionnelle afin que les forces politiques les moins importantes conservent une représentation dans l’administration territoriale.
La question des compétences est d’autant plus compliquée – j’en parle devant M. Vaillant, ancien ministre de l’intérieur – qu’elles sont des milliers et que plusieurs dizaines d’entre elles voient leur champ modifié chaque année par le législateur, dans le cadre, notamment, des lois de finances.
Le Parlement n’est pas, à mes yeux, en mesure de trancher aujourd’hui dans le détail. Il peut en revanche fixer quelques principes, le législateur ayant ensuite quatre années pour préciser les choses : si la réforme est définitivement adoptée, elle n’entrera en application qu’en 2014, après le franchissement de plusieurs échéances politiques.
Dans l’immédiat, le législateur devrait prendre position sur la clause de compétence générale, une des propositions contestées du rapport. À mes yeux, la compétence générale est la source principale des confusions, voire des conflits qui caractérisent l’administration territoriale. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé de réserver la clause de compétence générale aux communes et de la supprimer pour les départements et les régions. En contrepartie, le législateur devrait tout d’abord fixer les grandes catégories de compétences spécifiques entre la commune – compétence générale –, le département – les questions sociales notamment – et la région – entres autres grandes compétences, le développement économique –, ce qui lui donnerait le temps nécessaire pour élaborer, d’ici quelques mois et, en tout état de cause, avant 2014, une série de lois ou une loi plus générale visant à régler les détails, car il ne me paraîtrait pas judicieux de recourir aux ordonnances, comme d’aucuns l’ont suggéré. Dans l’état actuel des choses, je ne vois pas le Parlement faire à ce point confiance à quelque gouvernement que ce soit pour laisser à celui-ci le soin de fixer les compétences spécifiques des collectivités territoriales.
Quant à la création de nouvelles communes et de nouvelles métropoles, elle pose la question fondamentale de savoir si l’existence d’une commune dépend de l’exercice de son pouvoir fiscal. Le comité avait considéré qu’en cas de création de métropoles, voire de communautés de communes prenant une forme nouvelle, donner à une commune la possibilité de transférer une grande partie de son pouvoir fiscal ne mettait pas fin à son existence en tant que telle. Cette proposition n’a pas soulevé l’enthousiasme du Sénat.
À mes yeux, il convient, en la matière, de ne recourir ni à l’obligation ni à l’interdiction, mais de faire confiance à l’évolution naturelle des choses. C’est pourquoi je vous suggère d’inscrire dans le texte des dispositions permettant à des communes, à des communautés de communes ou à des métropoles de conclure entre elles des accords qui ne leur interdisent pas de transférer des compétences fiscales mais laissent libre cours à la diversité des situations. Il ne s’agit pas tant d’éluder une difficulté que de reconnaître humblement que personne n’a, ni sur le plan pratique, ni sur le plan intellectuel, de solution toute faite pour la résoudre immédiatement, surtout par voie autoritaire. C’est ce qu’avait conclu un ministre qui, alors que le comité n’avait pas encore achevé ses travaux, était venu me demander à qui il devrait s’adresser après la réforme des collectivités locales. J’avais pris la précaution de faire établir un tableau des compétences de chacune des collectivités – communes, départements, régions –, ce qui m’avait permis de lui répondre qu’il continuerait, compte tenu de son champ d’action, de s’adresser à chacune d’entre elles. Il était parti rasséréné.
…….
M. Michel Hunault. J’ai demandé hier à M. le ministre de l’intérieur de nous indiquer sa position relative à la clause de compétence générale à tous les échelons : selon lui, le Gouvernement n’a pas pour dessein de la remettre en cause.
Il est important, assurément, que le département et la région puissent financer les projets des petites communes, ce qui implique que ces deux instances disposent de la clause de compétence générale. Toutefois, ne s’agirait-il pas d’un recul de l’esprit de la réforme ? Celle-ci aurait-elle encore un sens ?
M. Dominique Perben, rapporteur. Le ministre de l’intérieur a précisé qu’il ne souhaitait pas remettre en cause la clause de compétence générale pour les communes : il n’a parlé ni des départements ni des régions.
……
M. Édouard Balladur. Je n’ai pas dit qu’il fallait attendre 2014 pour régler le problème des compétences : j’ai précisé que nous avions jusqu’en 2014 pour le régler progressivement, ce qui n’est pas la même chose.