Catégories: Assemblée Nationale, Institutions, Interventions en réunion de commission
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Mardi 13 mai 2008
Séance de 17 h 30
Compte rendu n° 56
Examen de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault, relative aux conditions de l’élection des sénateurs (n° 851) (M. Bernard Roman, rapporteur)
Examen de la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault, relative au respect du pluralisme dans les médias audiovisuels et prenant en compte le temps de parole du Président de la République (n° 852) (M. Patrick Bloche, rapporteur)
La Commission a examiné, sur le rapport de M. Bernard Roman, la proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault relative aux conditions de l’élection des sénateurs (n° 851).
M. Bernard Roman, rapporteur, a estimé qu’au moment où le Parlement s’apprête à examiner un projet de révision constitutionnelle, dont l’ambition annoncée est de démocratiser nos institutions, il serait incohérent d’esquiver la question, fondamentale, de la composition des assemblées parlementaires. En effet, si la révision constitutionnelle est adoptée, le Parlement sera nécessairement saisi de lois organiques qui, dès lors qu’elles concernent le Sénat, ne pourront être adoptées sans son accord. Il serait regrettable que l’Assemblée nationale se dessaisisse par ce biais, en se plaçant sous la menace d’un veto sénatorial, de sa capacité à mettre en œuvre la révision constitutionnelle en ce qui concerne les conditions d’élection des sénateurs.
Les députés du groupe socialiste souhaitent participer utilement au débat constitutionnel afin d’instituer en France la « démocratie irréprochable » et la « République exemplaire » évoquée par le Gouvernement, même s’il aurait été préférable de connaître préalablement les futurs projets de loi organique et de modification des règlements des assemblées parlementaires tirant les conséquences de cette révision. En tout état de cause, le Parlement doit rechercher « un changement institutionnel global et ambitieux », comme le souhaitait le récent rapport du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République présidé par M. Edouard Balladur. A cet égard, la mise en conformité des conditions d’élection des sénateurs avec les exigences démocratiques relève d’une question de principe.
Le président du groupe socialiste du Sénat a saisi le Président de la République de la proposition de loi aujourd’hui soumise à la Commission. En effet, on ne peut actuellement espérer l’avènement en France d’une « démocratie irréprochable », alors que notre pays est, avec le Royaume-Uni, le seul d’Europe dans lequel la seconde chambre ne connaît jamais d’alternance. Cette situation confère en effet au bicamérisme français une « fonction modératrice [qui] s’avère hémiplégique et partiale », selon la formule de Mme Murielle Mauguin Hegelson.
La majorité sénatoriale avait elle-même admis, en 1999, qu’une réforme du Sénat devait être engagée, en soulignant, dans une proposition de loi présentée par M. Henri de Raincourt : « Quarante ans après la mise en place de la Vème République, le moment semble venu d’adapter le collège électoral aux évolutions démographiques et sociologiques de la France, sans pour autant toucher aux principes qui fondent la spécificité sénatoriale au sein du bicamérisme. L’impératif de modernisation de la vie politique, auquel le Sénat adhère pleinement, inclut la réforme du mode de scrutin sénatorial ». En effet, comme le soulignait le sénateur Daniel Hoeffel dans le rapport d’un groupe de réflexion sur l’institution sénatoriale, présenté le 2 juillet 2002, « la composition du collège électoral des sénateurs reste avant tout marquée par le poids électoral, jugé excessif par certains, des petites communes au détriment des zones urbaines », ce constat devant conduire à « une meilleure prise en compte des réalités démographiques » et, en particulier, de « la place des grandes villes dans le collège sénatorial ».
Enfin, le président du Sénat lui-même, M. Christian Poncelet, proposait, le 28 mars 2002, de « renforcer le poids du milieu urbain et de l’intercommunalité au sein du collège électoral des sénateurs, tout en préservant la représentation des petites et moyennes villes, qui assurent l’indispensable maillage de notre territoire ».
En dépit de ces déclarations concordantes, aucune réforme n’a été menée depuis lors pour rééquilibrer la représentation sénatoriale. La loi n° 2003-697 du 30 juillet 2003 portant réforme de l’élection des sénateurs a, au contraire, rétabli le mode de scrutin majoritaire dans les départements élisant trois sénateurs, alors que le scrutin proportionnel était plus représentatif.
M. Christian Poncelet avait déclaré, le 28 mars 2002 : « pour que la gauche plurielle s’empare du Sénat, il suffit tout bonnement qu’elle l’emporte aux prochaines élections municipales ». L’alternance demeure pourtant hors d’atteinte au Sénat, pour 2008 comme pour 2011, alors que, depuis le 16 mars 2008, la gauche est majoritaire dans toutes les catégories de collectivités territoriales représentées au Sénat – elle dirige 20 régions sur 22 et 58 départements sur 102, tandis que 60 % de la population nationale réside dans des communes dirigées par des majorités de gauche.
La surreprésentation sénatoriale des communes les moins peuplées est une réalité, comme le rappellent les chiffres suivants :
- environ 8 % de la population nationale réside dans des communes de moins de 500 habitants, dont les élus représentent plus de 16 % des délégués communaux ;
- les communes de plus de 100 000 habitants, qui regroupent plus de 16 % de la population nationale, ne désignent que 8 % des délégués communaux.
Or, malgré les préconisations du rapport du comité présidé par M. Edouard Balladur et le renforcement du poids politique des départements et des régions depuis une trentaine d’années, la composition du Sénat continue de favoriser nettement les petites communes rurales, comme à la fin du XIXème siècle.
Il convient de rappeler qu’une réforme ambitieuse des conditions d’élection des sénateurs, prévoyant l’élection d’un délégué communal par « tranche » de 300 habitants, s’est heurtée, le 6 juillet 2000, à une décision du Conseil constitutionnel, qui a estimé que les élus locaux devaient demeurer majoritaires au sein du collège électoral du Sénat.
La proposition de loi soumise à la Commission reposant sur un mécanisme analogue, son adoption définitive est subordonnée à la révision préalable de l’article 24 de notre Constitution, qui devrait préciser que le Sénat représente les collectivités territoriales « en fonction de leur population ».
La proposition de loi tend à appliquer la même règle de représentation pour toutes les communes, mais aussi pour la composition du collège chargé d’élire les sénateurs représentant les Français de l’étranger. Elle permet par ailleurs aux départements et aux régions de désigner respectivement 15 % des membres du collège électoral du Sénat, sans diminuer pour autant le nombre de délégués désignés par les conseils municipaux, même dans les communes peu peuplées. Enfin, elle rétablit le mode de scrutin proportionnel dans les départements élisant trois sénateurs.
Concluant son propos, le rapporteur a considéré que la proposition de loi devait être examinée parallèlement au projet de révision constitutionnelle et permettrait de réconcilier le Sénat avec l’opinion publique.
S’interrogant sur la concomitance du dépôt de la proposition de loi et de la révision constitutionnelle, M. Michel Hunault a demandé au rapporteur si l’adoption de la proposition de loi conditionnait l’accord du groupe socialiste sur la révision constitutionnelle. Il a jugé préférable d’aborder la question des modes de scrutin après la révision constitutionnelle, qui a principalement pour objet de revaloriser le rôle du Parlement, et éventuellement après la réunion d’un groupe de travail sur le sujet. Il a considéré que la question de la représentativité de l’Assemblée nationale pourrait également être abordée et relevé que la composition des conseils régionaux ne reflétait pas fidèlement le corps électoral français.
Après avoir rappelé que le mode de scrutin pour les élections régionales avait été défini par l’actuelle majorité, M. Bruno Le Roux a souhaité que la réflexion sur la réforme des institutions s’accompagne d’une réflexion sur les modes de scrutin. Il a indiqué que la nécessité de réformer le mode de scrutin sénatorial était communément admise face à l’impossibilité de l’alternance, situation qui n’affecte aucune autre assemblée élue en France, et devait être abordée concomitamment avec la révision constitutionnelle pour rendre les institutions plus démocratiques. Il a indiqué que la discussion de la proposition de loi permettrait de tester la volonté de la majorité de donner des signes en ce sens.
Tout en jugeant la proposition de loi cohérente, M. Philippe Gosselin a jugé qu’elle était discutée à un moment inopportun compte tenu de l’imminence d’une révision constitutionnelle permettant d’engager la réforme du mode de scrutin sénatorial. Il a également émis des réserves sur l’idée de réformer le Sénat par une proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale, ainsi que sur l’accroissement du nombre de délégués non élus au détriment des délégués élus, dont la légitimité est mieux établie.
Après avoir rappelé que la suppression du Sénat avait été proposée en 1969 par un Président de la République qui n’était pas socialiste, M. Serge Blisko a estimé qu’il convenait de conserver le système bicamériste qui n’est remis en question ni par les constitutionnalistes, ni par les parlementaires, mais en conférant une plus grande légitimité au Sénat. Il a considéré que le moment était favorable à une révision des conditions d’élection des parlementaires, puisque le comité Balladur a travaillé sur la question et qu’un consensus existe sur la nécessité d’opérer un nouveau découpage des circonscriptions législatives. Il a expliqué que la proposition de loi maintenait une surreprésentation des communes de moins de 3 500 habitants, mais en l’atténuant, et a rappelé que deux nouveaux sièges de députés et de sénateurs avaient été créés pour les collectivités d’outre-mer de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, pourtant très peu peuplées. Il a conclu son propos en déclarant que le Sénat, en apparaissant figé, se fragilisait et devrait mieux représenter la population.
M. Bernard Roman, rapporteur, a souhaité que l’ouverture esquissée dans les propos de MM. Philippe Gosselin et Michel Hunault puisse être confirmée en séance publique.
Il a jugé déplacée toute comparaison entre les élections régionales et sénatoriales, la victoire de la gauche aux élections de 2004 résultant largement de la désapprobation de la politique gouvernementale et demeurant réversible à l’avenir, tandis que l’alternance au Sénat s’avère en pratique impossible, comme l’a démontré M. Guy Carcassonne.
Le fait que le projet de loi constitutionnelle dont est saisie l’Assemblée nationale précise, dans son article 34, que la nouvelle rédaction proposée pour l’article 24 de la Constitution, relatif notamment aux conditions d’élection des sénateurs, ne s’applique qu’à compter « du deuxième renouvellement partiel du Sénat suivant la publication » de la loi constitutionnelle, c’est-à-dire en 2011 au plus tôt, est révélateur des réticences de la majorité sénatoriale devant cette future réforme électorale.
La révision constitutionnelle doit offrir au Parlement l’occasion de se prémunir contre une nouvelle censure constitutionnelle d’une loi réformant les conditions d’élection des sénateurs pour rééquilibrer rapidement les institutions françaises au profit d’une « démocratie irréprochable ».
Le renvoi de cette réforme à une future loi organique, sur laquelle le Sénat disposerait d’un droit de veto, risque fort de priver le Parlement de la possibilité de démocratiser réellement les conditions d’élection des sénateurs et, par là même, les institutions de la République.
L’adoption de la proposition de loi élaborée en étroite liaison avec les sénateurs socialistes et présentée par les députés du groupe SRC constitue donc, à leurs yeux, une « exigence » majeure afin que puisse être réunie, dans un cadre consensuel, la majorité des trois cinquièmes requise pour l’adoption par le Congrès de la révision constitutionnelle proposée par le Gouvernement.
Le fait que le collège électoral du Sénat soit majoritairement composé de simples délégués, qui n’ont pas eux-mêmes la qualité d’élus locaux, s’explique par le choix de ne pas procéder à un rééquilibrage démographique en diminuant le nombre de délégués des petites communes. Cette importante augmentation du nombre de délégués, bien qu’elle ait été jugée contraire à l’actuel article 24 de la Constitution le 6 juillet 2000, représenterait en pratique une formidable opportunité civique, car les délégués des conseils municipaux tirent en général une grande fierté de leur participation à l’élection des sénateurs.
Le Président Jean-Luc Warsmann a rappelé que le projet de loi constitutionnelle prévoyait que le Sénat devait représenter les collectivités territoriales en tenant compte de leur population, ce qui rendra nécessaire une évolution du mode de scrutin. Il a considéré que la proposition de loi soulevait des questions qui gagneraient à être approfondies, s’agissant notamment de l’augmentation considérable de l’effectif du collège électoral, qui passerait de 143 521 à plus de 300 000 membres, de l’accroissement de la part des délégués non élus et de la réduction de la représentation des communes à laquelle le Président du Sénat n’est d’ailleurs pas hostile. Il a ensuite observé que le Sénat aborderait la question du mode de scrutin le 4 juin 2008 dans le cadre de son ordre du jour réservé et qu’il convenait de le laisser présenter ses propositions. Après avoir rappelé que la proposition de loi était en l’état contraire à la Constitution, il a reconnu la légitimité du débat qui s’engagera dans le cadre de la séance d’initiative parlementaire mardi prochain mais il a proposé de ne pas entrer dès maintenant dans la discussion technique.
M. Bruno Le Roux a jugé que le texte avait été suffisamment préparé et a souhaité que la Commission procède à l’examen des articles de la proposition de loi.
À l’issue de ce débat, la Commission a décidé de ne pas présenter de conclusions sur la proposition de loi relative aux conditions de l’élection des sénateurs (n° 851)