Catégories: Assemblée Nationale, Ethique, Interventions en réunion de commission
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Mercredi 3 octobre 2007
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 02
Examen du projet de loi de lutte contre la corruption (n° 171) (M. Michel Hunault, rapporteur)
La Commission a examiné, sur le rapport de M. Michel Hunault, le projet de loi relatif à la lutte contre la corruption (n° 171).
M. Michel Hunault, rapporteur, a présenté l’objet principal du projet de loi relatif à la lutte contre la corruption, qui est la transposition en droit interne des obligations nouvelles en matière d’incrimination de la corruption imposées par la convention pénale du Conseil de l’Europe sur la corruption du 27 janvier 1999 ainsi que par la convention des Nations unies contre la corruption du 31 octobre 2003.
Il a rappelé que la lutte contre la corruption est une priorité depuis une décennie et que, dans ce cadre, le législateur a d’abord adopté la loi n° 96-392 du 13 mai 1996 relative à la lutte contre le blanchiment et à la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation des produits du crime, puis la loi n° 2000-595 du 30 juin 2000, qui a procédé à la transposition en droit interne des dispositions de la convention du 17 décembre 1997 de l’OCDE relative à la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.
Il a signalé que le Gouvernement prévoit, à l’occasion du dépôt des instruments de ratification de la convention pénale du Conseil de l’Europe, qui interviendra après l’adoption du présent projet de loi, d’émettre une réserve d’interprétation permettant de ne pas incriminer le trafic d’influence commis en vue d’orienter la décision d’un agent public étranger. Après avoir expliqué que cette réserve du Gouvernement est justifiée par le fait qu’un grand nombre d’États ne connaissent pas cette incrimination et que son introduction en droit pénal français pourrait entraîner des distorsions de concurrence au profit des ressortissants d’autres États ne connaissant pas d’infraction équivalente, le rapporteur a estimé qu’une telle réserve pourrait toutefois faire l’objet d’une discussion plus approfondie.
Il s’est enfin félicité de cette nouvelle étape, qui permettra d’adapter l’arsenal législatif en matière de lutte contre la corruption internationale.
Après avoir observé que le droit international évoluait plus rapidement que celui des États, M. Arnaud Montebourg a déploré que le processus législatif en faveur de la lutte contre la corruption enclenché au début des années 2000 se soit ralenti depuis. Il s’est donc réjoui de la discussion du présent projet de loi. Il a affirmé que si les avancées proposées sont bonnes en théorie, il n’en demeure pas moins que les obstacles à la répression de la délinquance économique et financière se sont multipliés. Il a estimé que les attaques contre les magistrats de la part de responsables politiques de premier plan ne sont pas rassurantes quant à l’indépendance des juges du siège ou du parquet. Après s’être inquiété de l’« assèchement » des brigades financières des SRPJ qui ont perdu beaucoup de leurs effectifs du fait de redéploiements de personnels, il a jugé très insuffisant le nombre des agents et officiers de police judiciaire en charge de ces questions et s’est interrogé sur les risques de la déstabilisation du pôle financier parisien.
Ayant rappelé le faible nombre de condamnations pour des faits de corruption depuis 10 ans, il a estimé que les difficultés pour découvrir et prouver ces infractions pouvaient expliquer ces statistiques décevantes.
Il a considéré que le projet de loi méritait d’être adopté, même si les progrès en matière de lutte contre la corruption nécessitent aussi des moyens supplémentaires et un meilleur respect de l’autorité judiciaire. Tout en indiquant que le groupe SRC soutiendrait ce texte, il a cependant tenu à s’élever contre les évolutions récentes observées dans les juridictions et notamment les pressions exercées sur les parquets pour enterrer certains dossiers. Il a en particulier regretté que le Président de la République et le Garde des Sceaux traitent les procureurs comme des « préfets judiciaires », au mépris de la séparation des pouvoirs.
Soulignant que les moyens de lutte contre la corruption seront renforcés par le projet de loi, le rapporteur a précisé que depuis l’adoption de la Convention de l’OCDE en 1997, la France est l’une des démocraties qui s’est donné les moyens les plus complets de lutte contre la corruption. Il a rappelé que plusieurs rapports avaient identifié les obstacles qui demeurent en la matière et indiqué que les services de l’État, les magistrats et les professionnels entendus lors des auditions ont tous considéré que le projet de loi renforce les pouvoirs d’investigation des juges. Estimant que ce texte concrétise donc les objectifs fixés en matière de corruption et conforte la compétence du tribunal de grande instance de Paris, le rapporteur a indiqué que certains des amendements proposés tendent à accorder des moyens supplémentaires aux magistrats.
La Commission est ensuite passée à l’examen des articles.
Avant l’article premier :
La Commission a été saisie d’un amendement de M. Arnaud Montebourg tendant à étendre aux délits de corruption et de trafic d’influence les règles de procédures applicables à la criminalité et à la délinquance organisées.
Le rapporteur a observé que cet amendement permettrait d’appliquer à la « délinquance astucieuse » toutes les mesures pouvant être employées dans la lutte contre la criminalité organisée, notamment les saisies conservatoires, les écoutes téléphoniques et la possibilité de recourir à une garde à vue de quatre-vingt-seize heures et à des perquisitions nocturnes. Précisant qu’un de ses propres amendements avait une portée similaire sans pour autant permettre le recours à ces deux derniers dispositifs, il a invité M. Arnaud Montebourg à retirer son amendement.
Le Président Jean-Luc Warsmann ayant fait part de sa satisfaction de voir les députés socialistes proposer d’étendre des règles de procédure qu’ils avaient jugées, lors de leur instauration, attentatoires aux libertés, M. Arnaud Montebourg a considéré qu’il convenait de traiter la délinquance économique avec la même sévérité que la criminalité organisée, avant de retirer son amendement au profit de celui du rapporteur.
Article premier(art. 432-11, 433-1, 433-2, 434-9 et art. 434-9-1 [nouveau] du code pénal) : Corruption et trafic d’influence concernant les agents publics et les magistrats et personnes exerçant une fonction juridictionnelle en France :
La Commission a adopté un amendement du rapporteur tendant à harmoniser le régime des peines complémentaires pour le délit de corruption passive d’un agent public national et celui prévu pour le délit de corruption passive d’un agent public d’un État étranger ou d’une organisation internationale publique.
Elle a adopté un amendement du même auteur harmonisant les peines complémentaires en cas de corruption et trafic d’influence à l’égard d’agents judiciaires français avec celles prévues en cas de corruption et trafic d’influence à l’égard d’agents judiciaires d’États étrangers ou d’organisations internationales.
Elle a enfin adopté un amendement du même auteur apportant aux incriminations de corruption passive et active de personnes n’exerçant pas une fonction publique les mêmes précisions qu’en matière d’incrimination de la corruption passive et active d’agents publics.
Puis elle a adopté l’article 1er ainsi modifié.
Article 2 (art. 435-1 à 435-6 et art. 435-7 à 435-15 [nouveaux] du code pénal) : Incrimination de la corruption et du trafic d’influence des agents publics étrangers et internationaux, du personnel judiciaire étranger et international. Peines complémentaires :
Section 3
Peines complémentaires et responsabilité des personnes morales
— Art. 435-15 [nouveau] du code pénal : Responsabilité et sanction des personnes morales :
La Commission a adopté un amendement de précision du rapporteur et un amendement rédactionnel du même auteur.
Puis elle a adopté l’article 2 ainsi modifié.
Article 3 (art. 689-8 du code de procédure pénale) : Compétence élargie des juridictions françaises pour la corruption internationale :
La Commission a adopté cet article sans modification.
Article 4 (art. 704 et 706-1 du code de procédure pénale) : Compétence concurrente du tribunal de grande instance de Paris pour les infractions de corruption et de trafic d’influence d’agents publics étrangers :
Après avoir adopté un amendement du rapporteur corrigeant une erreur de référence dans le code de procédure pénale, la Commission a adopté l’article 4 ainsi modifié.
Avant l’article 5 :
M. Arnaud Montebourg a retiré un amendement plaçant sous l’autorité de magistrats certains officiers et agents de police judiciaire.
Article 5 (art. 706-73 et 706-1-1 [nouveau] du code de procédure pénale) : Utilisation des nouvelles mesures de surveillance, d’infiltration et de sonorisation en matière de corruption :
Après que M. Arnaud Montebourg eut retiré un amendement de suppression de cet article, la commission a été saisie d’un amendement du rapporteur rendant applicable en matière de corruption la possibilité de saisie-conservatoire des avoirs de la personne mise en examen, sur autorisation du juge des libertés et de la détention, comme en matière de délinquance organisée. Le président Jean-Luc Warsmann a présenté un sous-amendement tendant à permettre dans ce cadre de procéder à des écoutes téléphoniques, en soulignant leur caractère particulièrement adapté à la recherche de preuves d’un délit occulte comme la corruption. La Commission a alors adopté ce sous-amendement puis l’amendement ainsi modifié.
Elle a ensuite adopté un amendement du rapporteur étendant à l’ensemble des infractions de corruption ou trafic d’influence à l’égard d’agents publics ou de magistrats étrangers l’utilisation de techniques d’enquête spéciales.
Puis elle a adopté l’article 5 ainsi modifié.
Article additionnel après l’article 5 (art. L. 1414-4 du code général des collectivités territoriales) : Infractions interdisant de soumissionner à un contrat de partenariat :
La Commission a adopté un amendement de coordination du rapporteur.
Après l’article 5 :
La Commission a été saisie d’un amendement du rapporteur tendant à ce que le rapport annuel établi par le cocontractant d’un partenariat public-privé comporte systématiquement des informations financières.
Après avoir rappelé ses réticences sur le principe même des contrats de partenariat public-privé (PPP), M. Arnaud Montebourg a rappelé que l’ordonnance qui permet d’y recourir avait échappé à la discussion parlementaire. Il a affirmé la nécessité de procéder à l’évaluation de ce dispositif et invité le président de la Commission à créer une mission d’information sur ce sujet.
Le président Jean-Luc Warsmann a précisé que M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé des entreprises et du commerce extérieur, avait constitué un groupe de travail chargé d’évaluer les contrats de partenariat et de proposer d’éventuelles évolutions législatives, et que, le Parlement devant y être associé, il serait préférable d’attendre ses conclusions avant de légiférer en cette matière.
M. Claude Goasguen a indiqué partager l’avis du Président. Un groupe d’études examinant cette question, il convient de ne pas donner, par l’adoption d’un tel amendement, un signal de défiance à l’égard de cet outil juridique.
Après avoir rappelé que le Royaume-Uni avait beaucoup utilisé ce type de contrats, qui accroissent le hors-bilan budgétaire des collectivités publiques, M. Arnaud Montebourg s’est inquiété des conséquences sur celles-ci en cas de crise financière. Il a considéré qu’il n’appartient pas seulement au Gouvernement d’évaluer les contrats de partenariat, et que le Parlement doit également se saisir de ce sujet, d’où sa demande de constitution d’une mission d’information placée sous la co responsabilité de la majorité et de l’opposition.
M. Étienne Blanc a rappelé que le choix de recourir ou non à un contrat de partenariat doit s’effectuer après un calcul financier à long terme, que les collectivités publiques peuvent conduire avec l’appui de la mission. S’il s’est déclaré favorable à l’objectif de l’amendement, il s’est cependant interrogé sur la nature des informations financières susceptibles de figurer dans le rapport annuel. En effet, la donnée la plus importante réside dans l’écart de coût entre un financement par un emprunt classique et par un contrat de partenariat. Il apparaît donc plus sage de ne pas adopter l’amendement dans l’attente d’un projet de loi relatif à cette question.
M. Claude Goasguen a estimé à nouveau que traiter de la question des contrats de partenariat dans un texte relatif à la lutte contre la corruption pouvait conduire à en donner une mauvaise image et a souligné la qualité des travaux de la mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat, présidée par M. Noël de Saint-Pulgent.
M. Arnaud Montebourg a maintenu son soutien à l’amendement du rapporteur en raison de l’opacité financière régnant autour des contrats de partenariat.
Après que le rapporteur eut indiqué que cet amendement visait seulement les caractéristiques financières des contrats de partenariat et non à jeter la suspicion sur ces derniers, la Commission a rejeté l’amendement du rapporteur.
Article additionnel après l’article 5 (art. L. 2313-1-1 et L. 4312-1 du code général des collectivités territoriales) : Amélioration de l’information des élus locaux sur les comptes des sociétés d’économie mixte locales :
La Commission a ensuite adopté un amendement du même auteur précisant que les comptes certifiés des sociétés d’économie mixte locales sont obligatoirement transmis aux élus de la collectivité qui en est actionnaire et que cette obligation concerne également les régions, réparant ainsi une omission de l’ordonnance du 26 août 2005.
Après l’article 5 :
La Commission a examiné un amendement du rapporteur permettant aux associations reconnues d’utilité publique, ayant pour objet la lutte contre la corruption, de se porter partie civile en ce qui concerne les infractions de corruption. Son auteur a précisé que l’objectif de cet amendement n’était pas d’entraver l’instruction, mais de permettre à ces associations de pouvoir participer à l’audience en tant que partie civile.
M. Claude Goasguen a considéré que cet amendement compliquerait à l’excès le droit applicable sauf à admettre que toutes les associations reconnues d’utilité publique pourraient se constituer partie civile, puisqu’aucune d’entre elles ne peut avoir pour but de promouvoir la corruption.
M. Étienne Blanc s’est interrogé sur le rôle de certaines associations comme l’a montré l’affaire dite d’Outreau, où l’intervention d’associations avait perturbé le déroulement des débats en Cour d’assises. Par ailleurs, les magistrats en charge des dossiers de corruption s’accordent à dire qu’il convient de savoir arrêter l’instruction même si tous les éléments, notamment ceux portant sur des faits commis à l’étranger, n’ont pu être exploités. L’amendement pourrait ainsi conduire à ce que des associations demandent des actes d’instruction supplémentaires susceptibles de retarder les jugements.
Ayant rappelé que, dans l’affaire dite d’Outreau, le parquet n’avait pas non plus été exemplaire, M. Arnaud Montebourg a ajouté que ce n’est pas parce que des associations formuleraient des demandes d’actes d’instruction supplémentaires que celles-ci seraient automatiquement acceptées. Il s’est donc déclaré en faveur de l’amendement.
Après avoir indiqué qu’il tenterait d’améliorer sa rédaction afin de limiter l’intervention des associations à la seule audience, le rapporteur a retiré cet amendement en vue de son réexamen dans le cadre de la réunion de la Commission au titre de l’article 88 du Règlement.
La Commission a ensuite été saisie d’un amendement du rapporteur permettant aux associations de consommateurs agréées et aux associations reconnues d’utilité publique d’assister, avec voix consultative, aux commissions d’appel d’offres.
Après s’être déclaré favorable à l’amendement, M. Serge Blisko a déploré que depuis la réforme du code des marchés publics, les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne participaient plus, dans les faits, aux commissions d’appel d’offres. Bien que désormais facultative, leur présence pourrait apporter un regard professionnel très utile.
M. Étienne Blanc a indiqué qu’il lui semblait plus important de permettre une présence effective des agents de la DGCCRF dans les commissions d’appel d’offres que d’y introduire des associations. En outre, une telle modification pourrait affecter la nécessaire confidentialité liée à l’ouverture des plis.
Après que M. Philippe Gosselin eut jugé que l’amendement alourdirait les procédures devant les commissions d’appel d’offres, la commission a rejeté l’amendement.
Article 6 (art. 3 de la loi n° 2000-595 du 30 juin 2000) : Abrogation d’une disposition devenue sans objet :
La Commission a adopté cet article sans modification.
Article 7 : Application dans les collectivités d’outre-mer :
La Commission a adopté cet article sans modification.
Elle a ensuite adopté l’ensemble du projet de loi ainsi modifié.