Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Catégories: Assemblée Nationale, Droits de l'Homme, Interventions en réunion de commission, Prisons

Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République

Mardi 18 septembre 2007

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 11

Examen du projet de loi, adopté par le Sénat, instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (n° 114) (M. Philippe Goujon, rapporteur)

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe Goujon, le projet de loi, adopté par le Sénat, instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté (n° 114).

M. Philippe Goujon, rapporteur, a rappelé que l’Assemblée nationale est saisie en première lecture d’un projet de loi, adopté par le Sénat le 31 juillet dernier, créant une nouvelle autorité indépendante chargée d’exercer un contrôle extérieur, indépendant et effectif de l’ensemble des lieux de privation de liberté, qui comprennent notamment les établissements pénitentiaires, les locaux de garde à vue, les dépôts des palais de justice, les centres hospitaliers spécialisés ou les centres de rétention administrative. Innovation du projet de loi, ce contrôle est confié à une autorité unique, qui aura ainsi une vue d’ensemble des lieux de privation de liberté dans notre pays.

Le rapporteur a indiqué que ce texte fait l’objet d’une attente forte, y compris des administrations en charge de ces lieux et des personnels de surveillance, comme il a pu le constater, de même que certains de ses collègues qui l’accompagnaient, lors des auditions auxquelles il a procédé pour la préparation de l’examen de ce texte.

Il a fait valoir que l’entrée d’un nouveau regard extérieur dans un lieu clos présente le double intérêt de prévenir d’éventuels abus, les lieux de privation de liberté étant par nature des lieux de violence – une violence légitime, institutionnelle, mais aussi une autre violence, non légitime celle-là, entre les personnes privées de liberté – et de lever la suspicion sur les conditions de traitement des personnes enfermées.

Le rapporteur a rappelé que si le projet de loi s’inscrit dans un contexte international, puisqu’il permet à la France de respecter les stipulations du Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé en septembre 2005 et qui doit être ratifié avant septembre 2008, il est surtout la marque d’une volonté forte du Gouvernement de mettre en place rapidement un tel contrôle. Le protocole prévoit en effet la mise en place d’un « mécanisme national de prévention » indépendant dans un délai maximum d’un an après la ratification du protocole. La France prend donc un peu d’avance avec ce projet de loi puisque le mécanisme national sera mis en place avant même que les accords internationaux ne l’y obligent. L’inscription de ce texte à l’ordre du jour des deux sessions extraordinaires du Parlement, qui aura permis un examen dès les tout premiers jours de la législature, souligne le volontarisme gouvernemental que le rapporteur a tenu à saluer.

Le rapporteur a indiqué que le projet de loi a été adopté par le Sénat en première lecture le 31 juillet dernier, sans qu’aucune voix ne se prononce contre le texte. Il a rendu hommage à l’excellent travail réalisé par la Haute Assemblée, qui a notablement amélioré, précisé et enrichi le texte : pas moins de 26 amendements parlementaires ont été adoptés, certains émanant de l’opposition. Les garanties accompagnant le statut du Contrôleur général ont été accrues, notamment sur le fondement des recommandations du rapport de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation présenté en 2006 par M. Patrice Gélard sur les autorités administratives indépendantes.

Le rapporteur a souligné qu’en matière de contrôle extérieur, l’état de la réflexion est déjà bien abouti dans notre pays. L’excellent rapport de la commission présidée par M. Guy Canivet, qui avait été chargée en 1999 par Madame Elisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, « d’étudier les manières d’améliorer le contrôle extérieur des prisons », plaidait pour l’instauration d’un contrôle extérieur des prisons indépendant, distinct des fonctions de médiation et chargé de contrôler les conditions générales de la détention. Ce même rapport dénonçait également l’éclatement des contrôles existants.

Le rapporteur a rappelé que les lieux d’enfermement sont d’ores et déjà soumis à de nombreux contrôles qui apparaissent cependant dispersés et limités. Il a jugé de ce point de vue paradoxale la situation des établissements pénitentiaires : peu d’administrations sont en effet soumises à un nombre aussi élevé de contrôles et pourtant ceux-ci apparaissent insuffisants, du fait de leur éclatement.

Le rapporteur a ensuite présenté les dispositions du projet de loi. Il a indiqué que le Contrôleur général sera nommé pour un mandat unique de 6 ans, par décret du Président de la République, le Sénat ayant introduit par amendement un avis préalable des commissions compétentes du Parlement. Le Contrôleur général sera assisté de contrôleurs qui seront recrutés en raison de leur compétence dans les domaines se rapportant à leur mission, les fonctions de contrôleur étant incompatibles avec l’exercice d’activités en relation avec les lieux contrôlés.

Le rapporteur a appelé l’attention des commissaires aux Lois sur l’importante distinction entre les deux modes de saisine du Contrôleur général. Le projet de loi prévoit en effet que toute personne physique, ainsi que « toute personne morale s’étant donnée pour objet le respect des droits fondamentaux » peut porter de tels faits ou situations à la connaissance du Contrôleur général, qui appréciera l’opportunité des suites à donner à cette information, étant entendu que la loi lui donne le pouvoir de s’autosaisir. Certaines autorités politiques et certaines autorités administratives indépendantes pourront quant à elles véritablement saisir le Contrôleur général : il s’agit du Premier ministre, des membres du Gouvernement, des Parlementaires, du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, du Président de la CNDS et du Président de la HALDE.

Le Contrôleur général exercera un contrôle étendu : tous les lieux de privation de liberté sont visés par le contrôle. L’absence de liste permet d’éviter tout risque d’oubli. Ainsi, les véhicules servant au transport des personnes privées de liberté devraient également relever de ce contrôle, étant rappelé que le Sénat a par ailleurs complété le premier alinéa de l’article 6 pour prévoir expressément la compétence du Contrôleur général en matière d’hospitalisation sous contrainte dans les hôpitaux privés.

Rappelant que la question de la compétence territoriale du Contrôleur général a été soulevée au Sénat, le rapporteur a indiqué que l’état de sa réflexion le poussait à ne pas vouloir remettre en cause la limitation par le projet des compétences du Contrôleur général au seul « territoire de la République », excluant ainsi les théâtres d’opérations extérieures de l’armée française.

Abordant l’important sujet des visites sur place, qui constitueront la modalité principale du contrôle, le rapporteur a jugé que le Sénat avait utilement supprimé l’information préalable des autorités responsables des lieux que le projet de loi prévoyait dans sa version initiale : les visites pourront être planifiées à l’avance ou inopinées, les deux ayant leur intérêt propre. À l’issue de chaque visite, le Contrôleur général établira un rapport faisant état de ses observations et des réponses de l’administration, dont le Sénat a rendu la publication systématique.

S’agissant des suites données aux contrôles, le rapporteur a indiqué que le Contrôleur général pourra émettre des avis et formuler des recommandations à l’administration. Il n’est en revanche pas doté d’un pouvoir d’injonction, l’objectif du projet de loi étant d’instaurer un climat de confiance avec les autorités responsables des lieux contrôlés. L’« arme » la plus puissante dont dispose le Contrôleur général réside in fine sans doute dans la publicité qu’il peut donner à ses avis et recommandations et dans son rapport annuel public.

Le rapporteur a ensuite fait part des trois préoccupations majeures qui ont guidé sa réflexion sur le projet de loi. La première a trait au statut du Contrôleur général et des contrôleurs auxquels il pourra déléguer ses pouvoirs. Le Sénat a apporté de très nombreuses garanties quant à l’indépendance du Contrôleur général, notamment au travers d’un régime complet d’immunités, d’incompatibilités et d’inéligibilités. Le décret en Conseil d’État qui sera pris en application de la loi devra conférer ce même type de garanties aux contrôleurs et devra réussir la difficile conciliation de l’exigence de leur indépendance et leur nécessaire compétence.

La seconde préoccupation concerne le contexte international dans lequel s’insère cette nouvelle autorité : le législateur doit veiller à ce que la loi respecte au mieux les stipulations du protocole facultatif de l’ONU que la France devra prochainement ratifier, avec les nécessaires adaptations aux spécificités de notre droit.

La troisième préoccupation majeure concerne la nécessaire mise en cohérence des différents contrôles qui vont coexister. Si la pluralité des mécanismes de contrôle n’est pas une mauvaise chose en soi, puisqu’elle garantit des visites régulières des différents lieux, il n’en est pas moins nécessaire de clarifier les compétences des différents organes de contrôle, pour éviter leur déresponsabilisation, et de les coordonner, pour éviter la démobilisation des administrations en charge des lieux contrôlés, confrontées à une multiplication désordonnée des contrôles.

Cette coordination ne passe sans doute pas par la loi, mais par des sortes de protocoles que les différentes instances pourraient passer entre elles pour éviter les doublons. La suggestion du rapport de M. Guy Canivet de créer, en remplacement de la commission de surveillance de chaque établissement pénitentiaire, une « conférence d’établissement », qui se réunirait chaque année dans chaque établissement pour confronter les différents contrôles entre eux et assurer un réel suivi mérite également d’être prise en compte.

Après avoir rappelé qu’un projet de loi pénitentiaire serait prochainement débattu au Parlement, qui serait l’occasion d’évoquer à nouveau ces sujets, le rapporteur a invité les commissaires aux Lois à adopter le projet de loi au bénéfice des amendements qu’il a déposés.

M. Michel Hunault s’est félicité que l’examen de ce projet de loi ait pu être inscrit à l’ordre du jour de la seconde session extraordinaire. L’idée de mettre en place un contrôle des lieux de privation de liberté avait déjà été abordée non seulement dans le rapport de M. Guy Canivet cité par le rapporteur, mais aussi dans plusieurs propositions de loi antérieures.

Si le projet de loi s’inspire visiblement de l’expérience britannique dans ce domaine, il aurait été souhaitable de mentionner également d’autres expériences louables qui ont été conduites dans divers pays européens. Ainsi, le précédent Garde des Sceaux, M. Pascal Clément, s’était inspiré du système en vigueur en République tchèque pour envisager de confier des pouvoirs étendus au Médiateur de la République.

Le projet de loi soumis à la représentation nationale est ambitieux, mais la crédibilité de la nouvelle institution qu’il crée dépendra largement des moyens dont elle disposera pour remplir la mission qui lui est assignée. L’article 3 du projet de loi prévoit que le Contrôleur général sera assisté de contrôleurs recrutés en raison de leurs compétences ; dans le même esprit, il serait utile de préciser que le Contrôleur général pourra disposer d’un délégué dans chaque région française.

Par ailleurs, s’il est prévu que le Contrôleur général dispose du droit de visiter, à tout moment, tout lieu de privation de liberté, on peut s’interroger sur la portée réelle et la prise en compte, en particulier par l’administration pénitentiaire, du rapport et des observations qu’il formulera. À cet égard, il serait utile de faire référence aux règles pénitentiaires européennes, qui ont été adressées récemment à tous les détenus, ainsi qu’aux parlementaires.

……

Répondant à M. Michel Hunault, le rapporteur a rappelé que les règles pénitentiaires européennes sont contenues dans une recommandation du Conseil de l’Europe. Si elles constituent un texte de référence, très largement diffusé par l’administration pénitentiaire, elles n’ont en revanche pas de valeur contraignante en droit français. Elles ont par ailleurs un champ d’application bien moins large que le présent projet de loi.