Catégories: Assemblée Nationale, Droits de l'Homme, International, Interventions en réunion de commission, Sécurité
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Mercredi 19 novembre 2008
Séance de 10 heures
Compte rendu n° 16
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, Président
La Commission examine, sur le rapport de M. Claude Bodin, la proposition de loi, adoptée par le Sénat, visant à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers (n° 1233)
La séance est ouverte à 10 heures.
Présidence de M. Jean-Luc Warsmann, président
M. Claude Bodin, rapporteur. Le Sénat a adopté, le 4 novembre dernier une proposition de loi prorogeant l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi du 23 janvier 2006. En effet, ces 3 articles n’ont été adoptés qu’à titre temporaire et ne sont applicables que jusqu’au 31 décembre 2008.
En l’absence d’intervention du législateur d’ici le 1er janvier prochain, ces 3 articles cesseront donc d’être applicables. Afin de résoudre cette difficulté, le ministère de l’intérieur avait fait inscrire la prolongation de ces dispositions dans l’avant-projet de loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure 2009-2013, dite « LOPPSI 2 »,
L’adoption définitive de la LOPPSI 2 avant la fin de l’année 2008 s’étant rapidement avérée impossible, il a ensuite été envisagé de faire adopter la disposition législative nécessaire par la voie d’un amendement au projet de loi sur la gendarmerie, mais celui-ci ne pourra pas non plus être examiné avant la fin de l’année.
Dans ces conditions, il est nécessaire que le Parlement adopte une loi spécifique sur le sujet, ce qui a conduit le sénateur Hubert Haenel à déposer une proposition de loi, examiné et adopté par le Sénat le 4 novembre dernier. Cette proposition de loi repousse au 31 décembre 2012 la date d’extinction de ces dispositions fort utiles.
La première disposition concernée par la présente proposition de loi est l’article 3 de la loi du 23 janvier 2006. Celui-ci a étendu les possibilités de procéder à des contrôles d’identité systématiques à bord des trains internationaux. L’accord de Schengen permet de procéder à des contrôles d’identité systématiques et de caractère aléatoire dans une bande de 20 km à partir de la frontière, ainsi que dans les gares, ports et aéroports internationaux. Or, à bord des trains internationaux, il était concrètement difficile de procéder à des contrôles efficaces pendant la période, trop courte, au cours de laquelle le train se trouvait dans la limite des vingt kilomètres.
Ainsi, pour permettre l’organisation effective de contrôles d’identité à bord des trains internationaux, l’article 3 les a autorisés jusqu’au premier arrêt suivant la limite des 20 km. Il les a également autorisés, sur les lignes « présentant des caractéristiques particulières de desserte », entre ce premier arrêt et un autre arrêt situé dans la limite des 50 kilomètres suivants.
Grâce à cette nouvelle disposition législative, le nouveau service national de police ferroviaire, créé en 2006, dispose d’un outil juridique important pour mener sa mission de sécurisation des réseaux ferrés, notamment en organisant des patrouilles mixtes avec les pays frontaliers de la France. Sans cette disposition, ces patrouilles mixtes n’auraient aucun moyen d’agir, notamment pour lutter contre l’immigration clandestine, plusieurs centaines d’interpellation ont eu lieu dans ce cadre, mais aussi pour prévenir le terrorisme.
En effet, les trains internationaux sont des cibles de choix des terroristes et l’organisation de patrouilles à leur bord, avec contrôles d’identité, peut être indispensable : cela a été notamment le cas sur une ligne franco-allemande au cours de l’été 2006. De plus, les contrôles d’identité permettent de suivre des individus qui sont sous la surveillance des services anti-terroristes : depuis le début de l’année 2008, 48 personnes contrôlées à bord des trains internationaux faisaient l’objet d’un signalement par les services de lutte contre le terrorisme.
L’article 6 prévoit que les opérateurs de communication électronique sont tenus de communiquer les données techniques liées à l’utilisation de la téléphonie, fixe ou mobile, et de l’Internet aux agents habilités des services anti-terroristes qui en font la demande. Cet accès n’est cependant pas inconditionnel : les agents doivent formuler des demandes motivées auprès d’une « personnalité qualifiée », placée auprès du ministre de l’intérieur mais désignée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de communication (CNCIS).
Ce dispositif permet de beaucoup mieux utiliser les moyens des services de lutte contre le terrorisme en facilitant le très important travail d’identification des personnes à suivre, et en écartant au contraire les personnes ne présentant pas de danger, tout en étant en relation avec une personne susceptible d’appartenir à un réseau terroriste. Cet instrument juridique est donc parfaitement adapté à la doctrine française de l’anti-terrorisme, fondé sur la détection précoce des réseaux terroristes.
Il me semble préférable de disposer d’un cadre juridique clair dans ce domaine, définissant précisément les données qui peuvent être transmises, les situations dans lesquelles il est acceptable de les transmettre ainsi que les conditions d’habilitation et de traçabilité des demandes. D’ailleurs, ce dispositif a été validé par le Conseil constitutionnel, qui a trouvé qu’il offrait un juste équilibre entre les libertés individuelles et les nécessités de l’ordre public.
Entre début mai 2007, date de mise en œuvre opérationnelle du dispositif, et fin août 2008, 49 896 demandes ont été adressées aux opérateurs, sachant que plusieurs dizaines peuvent concerner un même individu. Ces demandes concernent principalement la téléphonie mobile (78%), la téléphonie fixe (18 %) et Internet (près de 4 %). Dans 73 % des cas, il s’agit de demandes relatives à l’identification du titulaire d’un abonnement, soit l’équivalent d’une prestation d’annuaire inversé.
Quant au dispositif de contrôle prévu par la loi du 23 janvier 2006, il fonctionne parfaitement. En amont, la personnalité qualifiée prend des décisions qui ne peuvent être contestées par les services, en se fondant sur le dialogue constant qu’il entretient avec la CNCIS, chargée du contrôle a posteriori. La CNCIS, dans son rapport annuel 2007, comme dans le rapport d’application de nos collègues Éric Diard et Julien Dray, a d’ailleurs dit sa satisfaction sur le fonctionnement du dispositif.
L’article 9 de la loi du 23 janvier 2006 a facilité l’accès par les agents chargés de la lutte contre le terrorisme à des informations dont ils pouvaient déjà avoir connaissance, notamment par l’intermédiaire des fonctionnaires des préfectures. Ils peuvent donc consulter directement un certain nombre de fichiers gérés par le ministère de l’intérieur ou le ministère de l’immigration, tels le fichier national des immatriculations, les systèmes de gestion des permis de conduire, des cartes nationales d’identité ou des passeports…
Les actes réglementaires créant ces fichiers ont été modifiés afin de permettre leur consultation par les agents chargés de la lutte contre le terrorisme. Cependant, ces dispositions réglementaires d’application ont également été prises temporairement et expireront au 31 décembre 2008. Lorsque la présente proposition de loi aura été adoptée et promulguée, il sera donc nécessaire de modifier dans les plus brefs délais les dispositions réglementaires précitées afin de proroger également leur application.
Avant 2006, lorsqu’un agent des services de renseignement avait besoin d’une information contenue dans un fichier administratif, il lui fallait s’adresser à un fonctionnaire disposant d’un accès à ces fichiers. Désormais, les agents habilités des services chargés de la lutte contre le terrorisme peuvent accéder directement aux informations contenues dans ces fichiers. Cet accès direct a trois avantages essentiels.
Tout d’abord, la réactivité. Les informations peuvent être consultées sept jours sur sept et 24 heures sur 24.
Ensuite, la confidentialité. En effet, il peut être préférable de ne pas faire savoir à un tiers que les services de lutte contre le terrorisme sont intéressés par la situation administrative d’une personne ou par le numéro d’immatriculation de sa voiture.
Enfin, la traçabilité : contrairement au système précédent, toutes les demandes de consultation de fichiers sont mémorisées, permettant de vérifier a posteriori leur caractère justifié ou non.
Qu’il s’agisse des dispositions de l’article 3, de l’article 6 ou de l’article 9, je considère qu’elles ont montré leur utilité et qu’elles ne constituent nullement des mesures d’exception qui n’auraient vocation à s’appliquer que pour un laps de temps déterminé afin de faire face à un « pic » d’activités terroristes. Au contraire, elles répondent aux mutations du terrorisme et à l’évolution des technologies.
Dans l’immédiat, il nous faut permettre au plus vite la poursuite de l’application de ces dispositifs, en adoptant la proposition de loi issue du Sénat dans les mêmes termes, ce qui permettra de proroger ces dispositions jusqu’au 31 décembre 2012. Mais d’ici 2012, il nous faudra réfléchir à pérenniser définitivement ces 3 articles.
M. Michel Hunault. J’aurais aimé que le rapporteur dresse un bilan des dispositions qu’il est question de proroger. En 2006, le législateur avait veillé à concilier l’impératif de lutter contre le terrorisme avec celui de respecter les libertés individuelles, notamment en se conformant aux engagements internationaux et européens de la France en la matière. Nous ne devons pas nous départir aujourd’hui de cet équilibre.
Ce qui me gêne dans la présentation qu’a faite notre rapporteur, c’est la référence à l’immigration clandestine. Je ne voudrais pas qu’à travers ce texte, nous nous trompions d’objectif. Les mesures soumises à notre examen doivent respecter le cadre et l’esprit du travail réalisé par le législateur en 2006.