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Assemblée nationale
XIIIe législature
Session ordinaire de 2007-2008
Compte rendu intégral
Deuxième séance du mardi 15 novembre 2007
Projet de loi de Finances pour 2008
Mission « Justice »
Discussion générale
Je suis saisi de deux amendements, nos 229 et 230, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Jean-Louis Léonard, pour défendre l’amendement n° 229.
M. Jean-Louis Léonard. Cet amendement va faire plaisir à M. Blisko, puisqu’il pourrait s’intituler « L’amendement des rats des champs contre les rats des villes ».
C’est vrai, madame la ministre, qu’il faut un certain courage pour mener la réforme que vous menez, celle qui ne l’a pas été, d’une manière aussi complète, depuis vingt ans. Les députés provinciaux sont actuellement bien placés pour savoir que cette réforme de la carte judiciaire n’est pas facile. Elle ne l’est ni pour eux, ni pour vous.
Certaines villes ont le sentiment de perdre leur rang en perdant un tribunal d’instance ou de grande instance. Nous avons pensé, avec le président Le Fur, qu’il était important de rétablir un certain équilibre.
Certaines régions perdent beaucoup plus que d’autres, par exemple la Bretagne ou la région Poitou-Charentes, qui perdra deux tribunaux de grande instance et quatre tribunaux d’instance, notamment le tribunal de grande instance de Bressuire, dont on vient de parler, et celui, bien entendu, de Rochefort.
Dans certaines de ces villes, vous nous proposez d’offrir aux justiciables un accès au droit et à la justice grâce à des maisons spécialisées, afin que chacun puisse être en mesure de connaître ses droits, de les défendre, ou de bénéficier de la justice de proximité.
C’est certainement une bonne idée, madame la ministre, c’est vrai. Mais aujourd’hui, vous n’avez pas les enveloppes budgétaires nécessaires pour permettre la création et le fonctionnement de ces maisons. Et si j’ai bien compris, compte tenu de l’ambiance, vous ne pourrez certainement pas beaucoup compter sur les collectivités pour se substituer à l’État.
La province fait des efforts considérables, donc. Ces efforts sont-ils partagés ? Très sincèrement, nous ne le pensons pas. Quand nous regardons la carte judiciaire à Paris, qu’y voit-on ? Vingt arrondissements, vingt tribunaux d’instance. Entre le tribunal d’instance du IIe arrondissement et celui du IIIe, il y a deux stations de métro, soit environ cinq minutes de trajet – quand tout va bien, naturellement, ce n’est peut-être pas le cas aujourd’hui. En province, par contre, il faudra parfois parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour aller au tribunal. Pour se rendre à Lorient, par exemple, les habitants de Pontivy devront parcourir près de 60 kilomètres : 50 minutes, quand tout va bien. Les habitants de Mayenne devront, quant à eux, parcourir 33 kilomètres, en un peu plus de 30 minutes, pour se rendre à Laval.
Nous ne discutons pas, au travers de cet amendement, le bien-fondé des décisions prises. Mais nous en tirons quand même quelques enseignements. Le tribunal de grande instance de Rochefort, en Charente-Maritime, est sans doute le plus important de tous ceux que vous supprimez. Il deviendra un tribunal d’instance renforcé. Là encore, nous ne discutons pas ici du bien-fondé de cette décision. Ce tribunal correspond à un territoire de 100 000 habitants, un barreau de 50 avocats. Son activité s’élève, au pénal, à 3 500 affaires. Il y a un tribunal pour enfants. Il y a naturellement un tribunal de commerce. Vous le supprimez. C’est certainement une erreur, mais là encore, nous n’en discuterons pas ici. Il reste qu’il va falloir la financer, cette erreur. Car le regroupement d’un tel TGI avec le tribunal de La Rochelle coûtera, en gros, entre 15 et 20 millions d’euros. Et vous n’avez pas ces crédits.
L’existence de certains tribunaux d’instance parisiens, compte tenu de ce que nous avons dit précédemment, ne se justifie pas non plus par le poids démographique des arrondissements concernés. Par exemple, le Ier arrondissement de Paris compte 16 888 habitants, le IIe arrondissement 19 585 habitants. Ils disposent chacun d’un tribunal d’instance, dont l’accès, c’est le moins qu’on puisse dire, est facile.
Le tribunal d’instance de Loudéac, dans les Côtes d’Armor, dessert un bassin de plus de 40 000 habitants. Lui disparaît au profit d’une maison de la justice et du droit.
Quant aux tribunaux des villes de Château-Gonthier et de Mayenne, ils sont dans une situation analogue.
Toute réforme doit obéir à l’équité, a fortiori celle de la justice. Les Français savent faire des sacrifices, et y consentent d’autant mieux qu’ils ont le sentiment que les efforts sont partagés. Pourquoi ne pas envisager, comme pour la province, des regroupements de tribunaux d’instance pour Paris ?
Mme Françoise Hostalier. Très bien !
M. Jean-Louis Léonard. D’ailleurs, beaucoup de nos collègues parisiens y avaient pensé, en attendant que le TGI évoqué puisse regrouper toute l’action judiciaire parisienne, et surtout que le maire de Paris revienne à plus de réalisme.
Je ne cherche pas à opposer la province à Paris, mais simplement à faire participer la capitale aux besoins de financement considérables – ne serait-ce qu’en études – qu’engendreront la mise en place des maisons de la justice et du droit, la réforme de certains TGI et les regroupements. C’est pourquoi je vous propose de transférer les 6 millions prévus pour le fonctionnement des TI parisiens sur une ligne dédiée à ces opérations. (« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Michel Hunault, pour soutenir l’amendement n° 230.
M. Michel Hunault. Les députés du groupe Nouveau Centre ont rédigé un amendement assez semblable à celui que vient de présenter mon collègue. Ils soutiennent depuis ce matin, madame la garde des sceaux, votre budget, qui témoigne d’une réelle volonté politique. J’ai pris bonne note que l’opposition considère que les réformes ne vont pas assez vite, tant la remise à niveau des prisons que la carte judiciaire, qui avait été réclamée à l’unanimité par la commission d’enquête parlementaire sur Outreau. Vous avez déclaré être attachée à l’accès au droit pour tous. Cela est d’autant plus important lorsque des tribunaux d’instance doivent être supprimés et que les tribunaux de grande instance sont très éloignés. C’est pourquoi notre amendement vise à renforcer les maisons de la justice et du droit, dont vous avez annoncé ce matin qu’une nouvelle génération permettrait de rassembler tous les auxiliaires de justice dans une optique de prévention des conflits. Nous proposons d’affecter, dès 2008, 5 millions d’euros au lancement des études et des premiers projets de cette réforme, qui s’étalera sur cinq ans.
Madame la garde des sceaux, votre courage mérite d’être salué. Tenez bon, nous vous aiderons ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. – Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Nouveau Centre et du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. René Couanau, rapporteur spécial. Je comprends le caractère à la fois symbolique et pratique de ces amendements. Symbolique, car ils soulignent la nécessité d’une meilleure répartition de l’effort entre la province et Paris. Mais il n’existe pas de ligne budgétaire spécifique pour les tribunaux de Paris, qui sont fondus dans les crédits globaux. La proposition a néanmoins un côté pratique. J’ai moi-même défendu la mise en place de maisons de la justice et du droit là où il fallait faciliter l’accès au droit – qui n’est pas forcément l’accès au juge, comme vous l’avez dit, madame la ministre. Pour cela, il faut trouver une formule financière qui ne rogne pas sur le peu de marge dont disposent les services judiciaires pour l’année 2008. En effet, les transferts, ce sont autant de dépenses en moins pour les juridictions, qui ont des besoins. Il ne faudrait pas freiner le développement de l’informatique, la modernisation, ni l’effort de gestion consenti au sein du ministère et dans toutes les juridictions, ce qui aurait un effet décourageant. Pour ne pas se faire au détriment des services essentiels, le financement des maisons de la justice et du droit pourrait se situer à mi-chemin de ce qui nous est proposé. L’idéal serait de pouvoir transférer les crédits de l’action 3, « Études et recherches », et ceux de l’action 4, « Gestion commune ». Si Mme la ministre y consentait, je donnerais un avis favorable aux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la garde des sceaux. Il est en effet extrêmement important de développer l’accès au droit qui, nous avons pu le constater au cours de nos discussions, est considéré comme un accès à la citoyenneté. Il faut donc revoir le périmètre de l’instance, ce qui est précisément l’objet des maisons de la justice et du droit nouvelle formule, qui intègreront les nouvelles technologies. Je suis tout à fait d’accord pour que 3 millions de crédits supplémentaires leur soient octroyés.
M. le président. Monsieur Hunault, monsieur Léonard, êtes-vous d’accord pour rectifier vos amendements en substituant la somme de 3 millions d’euros à celles que vous proposiez ?
M. Michel Hunault. Je suis d’accord.
M. Jean-Louis Léonard. Je le suis aussi.
M. le président. Ces amendements deviennent donc les amendements identiques nos 229 rectifié et 230 rectifié.
M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 229 rectifié et 230 rectifié.
(Ces amendements sont adoptés.)