Catégories: Assemblée Nationale, Interventions en réunion de commission, Justice, Prisons, Sécurité
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Mardi 11 décembre 2007
Séance de 17 h 45
Compte rendu n° 25
Audition de Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (n° 442) (M. Georges Fenech, rapporteur)
La Commission a procédé à l’audition de Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental (n° 442).
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice, a observé tout d’abord que le présent projet de loi était attendu depuis longtemps, puisqu’il traite de deux questions essentielles, celle des agresseurs d’enfants – plus précisément des prédateurs sexuels – et celle de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Depuis 1998, les gouvernements successifs ont cherché à améliorer la lutte contre les délinquants sexuels dangereux. Des solutions nouvelles ont été mises en place pour mieux prendre en charge et mieux encadrer ces délinquants. L’objectif est de réduire autant que possible leur dangerosité et le risque d’un nouveau passage à l’acte. La loi Guigou de 1998 a posé le principe des soins en prison pour les délinquants sexuels, instauré le suivi socio-judiciaire et créé le fichier national des empreintes génétiques. En 2004 est établi le fichier national des agresseurs sexuels. Le bracelet électronique mobile, dont l’usage est instauré en 2005, peut désormais être généralisé, aux termes du décret du 1er août 2007. Enfin, la loi du 10 août 2007 renforce l’injonction de soins.
Des réflexions très approfondies ont récemment été conduites sur cette question. Depuis 2005, trois rapports ont été rendus : celui d’une commission santé-justice présidée par Jean-François Burgelin ; le rapport de la mission parlementaire confiée au député Jean-Paul Garraud ; enfin, le rapport parlementaire des sénateurs Philippe Goujon et Charles Gautier. Tous concluent à la nécessité de mettre en place un dispositif permettant d’écarter de la société les délinquants les plus dangereux. Ils préconisent soit des centres fermés de protection sociale, soit des unités hospitalières de long séjour spécialement aménagées.
Le drame du petit Enis, survenu cet été, montre qu’il est temps d’agir. Le texte du Gouvernement concerne à la fois la justice et la santé. Il a été élaboré en étroite coopération avec Mme Roselyne Bachelot et vise à apporter des réponses fortes et concrètes.
Le projet de loi comporte trois volets : des mesures de sûreté pour les auteurs de crimes contre les mineurs ; de nouvelles dispositions pour le traitement judiciaire des personnes déclarées irresponsables pénalement ; des mesures destinées à améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins.
Après la détention, certains criminels pédophiles sont encore dangereux. Ils peuvent de nouveau passer à l’acte, comme cela a été le cas de Francis Évrard. Avec les nouvelles dispositions, ils resteront sous contrôle de la justice tant qu’ils ne se seront pas soignés et ils seront placés dans des centres fermés.
Sont concernées par cette mesure de sûreté les personnes condamnées à au moins quinze ans de réclusion pour des crimes commis sur des mineurs de quinze ans. La notion de crime renvoie en effet aux actes les plus graves, comme le meurtre, l’assassinat, les actes de torture, de barbarie ou le viol, tandis que le seuil de quinze ans de réclusion correspond à une lourde peine. De plus, la mesure concerne les auteurs de faits commis sur des mineurs de moins de quinze ans, car ces derniers sont particulièrement vulnérables et sont les principales victimes des pédophiles les plus dangereux.
Dans le nouveau dispositif, le condamné est averti par le président de la cour d’assises le jour de sa condamnation qu’il risque une rétention de sûreté en fonction de sa dangerosité en fin de peine. Un an avant la fin de la peine, il est soumis à un examen médical. L’avis d’une commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté est requis. Créée par la loi sur la récidive du 12 décembre 2005, cette instance est composée d’un magistrat, d’un préfet, de deux experts – un psychiatre et un psychologue –, d’un directeur des services pénitentiaires, d’un avocat et d’un représentant d’une association nationale d’aide aux victimes. Elle est déjà consultée pour les placements sous surveillance électronique des condamnés dangereux à fort risque de récidive. Le projet étend donc sa mission actuelle. Elle se prononcera, comme elle le fait déjà, sur la dangerosité et le risque de récidive – cela fut le cas, à trois reprises, pour Francis Évrard – mais aussi sur la nécessité d’un placement en rétention de sûreté.
Si le risque de récidive est particulièrement élevé, elle propose au procureur général de saisir une commission régionale. Il s’agit d’une instance nouvelle, dédiée à cette mission, qui sera composée de magistrats de la cour d’appel désignés pour trois ans par le Premier président. La commission régionale rend une décision motivée après débat contradictoire. La décision de rétention est valable un an et est renouvelable.
La personne faisant l’objet d’une mesure de rétention de sûreté est placée dans un centre socio-médico-judiciaire sous la tutelle des ministères de la justice et de la santé. Elle bénéficie, de façon permanente, d’une prise en charge médicale et sociale. Sa situation est réexaminée chaque année.
Quand la rétention prend fin, la personne peut être soumise à des obligations particulières. Elle peut être placée sous surveillance électronique mobile. Une injonction de soins peut également être ordonnée. En cas de manquement à ces obligations, la personne pourra à nouveau faire l’objet d’une mesure de rétention. Elle pourra être placée en urgence en centre socio-médico-judiciaire par le président de la commission régionale, le temps de décider d’une rétention de sûreté dans les mêmes conditions que pour un placement initial.
S’agissant de la mise en œuvre de la loi, deux cas de figure doivent être distingués : les condamnés avertis par le juge le jour de leur condamnation pourront être placés dans une structure fermée à la fin de leur peine s’ils présentent encore une grande dangerosité ; les criminels actuellement incarcérés pourront être placés sous bracelet électronique mobile après la fin de leur peine et bénéficieront d’un suivi médical mais, s’ils méconnaissent ces obligations, ils pourront être placés en rétention de sûreté.
Cette disposition, qui résulte de l’avis du Conseil d’État, rend le projet de loi parfaitement conforme à la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil d’État conclut en effet que l’on ne peut pas placer directement en rétention de sûreté un individu à sa sortie de prison sans que la condamnation initiale le prévoie.
Dans le cas de Francis Évrard, la justice aurait eu les moyens d’agir avant le drame. Condamné à vingt-sept ans de prison, il est sorti au bout de dix-huit ans. Dans le système proposé par le Gouvernement, il aurait été placé sous bracelet électronique mobile dès sa sortie de prison. Il aurait été suivi attentivement et n’aurait pas pu changer de région. S’il n’avait pas respecté ces obligations, il aurait été placé en rétention de sûreté.
Ce premier dispositif est efficace et pourra être mis en œuvre rapidement, dès la promulgation de la loi. Grâce à la bonne coopération entre les services du ministère de la justice et ceux du ministère de la santé, une première structure fermée sera mise en place avant la date initialement prévue de juin 2009. Elle sera ouverte à titre expérimental au sein de l’établissement de Fresnes dès le 1er septembre 2008.
Certains considèrent que le champ d’application du projet de loi est trop restreint, mais il faut avoir conscience qu’il s’agit d’un dispositif totalement nouveau, qui prévoit une mesure extrême qui va priver quelqu’un de sa liberté après sa peine, peut-être même de façon indéfinie. Le dispositif ne peut donc s’appliquer qu’aux atteintes les plus graves. S’il était trop large, il encourrait la censure du Conseil constitutionnel.
Pour ce qui est des nouvelles dispositions relatives aux irresponsables pénaux en raison d’un trouble mental, il convient tout d’abord de décrire la situation actuelle.
Lorsque l’auteur d’une infraction est déclaré pénalement irresponsable, le juge d’instruction rend actuellement une ordonnance de non-lieu. Or cette dénomination est mal perçue par les familles de victimes, car elle donne l’impression que les faits n’ont jamais eu lieu. De plus, l’ordonnance de non-lieu clôture l’instruction et éteint les poursuites judiciaires. Les familles reçoivent un courrier les informant de la décision du juge. Certains juges prennent cependant l’excellente initiative de recevoir les victimes.
Actuellement le non-lieu clôt la voie pénale et les victimes doivent saisir elles-mêmes le tribunal civil ou la commission d’indemnisation des victimes d’infractions pour demander une indemnisation. En effet, l’irresponsabilité pénale ne fait pas disparaître la responsabilité civile. L’auteur des faits peut donc être condamné civilement à condition que les victimes engagent elles-mêmes une nouvelle procédure.
Dans la procédure que le Gouvernement propose de mettre en place, le dossier ne s’achèvera plus par la notification d’une ordonnance de non-lieu : il y aura une audience devant la chambre de l’instruction. Cette audience sera publique mais le huis clos pourra être ordonné. Un débat sur les éléments à charge et l’irresponsabilité pénale interviendra avant la décision. L’audience s’achèvera, le cas échéant, par une décision d’irresponsabilité pour cause de trouble mental.
Ce type de procédure s’applique aujourd’hui uniquement en appel, comme dans l’affaire du meurtre des infirmières de Pau. Une audience a eu lieu en novembre, en présence des victimes et de la personne déclarée irresponsable. Ce sera dorénavant la règle, sans qu’il soit besoin de faire appel.
En outre, les déclarations d’irresponsabilité pénale seront inscrites au casier judiciaire, ce qui constitue une avancée majeure.
Une fois la décision rendue, l’auteur des faits peut être hospitalisé d’office en hôpital psychiatrique. S’agissant d’auteurs d’infractions pénales souvent très graves, les conditions qui permettent au préfet de décider une hospitalisation d’office sont presque toujours remplies. La chambre de l’instruction pourra en outre lui imposer des mesures de sûreté, applicables dès l’hospitalisation. Ces mesures – par exemple l’interdiction de se rendre dans certains lieux, de rencontrer les victimes, ou encore de détenir une arme – seront très utiles au moment de la sortie ou lors des permissions de sortie.
La chambre de l’instruction renverra l’affaire devant le tribunal correctionnel pour statuer sur les dommages et intérêts si les victimes le souhaitent. Il ne leur reviendra donc plus d’effectuer toutes les démarches. Le tribunal correctionnel statuant sur les intérêts civils, dans une formation à juge unique, sera saisi automatiquement. C’est le juge délégué aux victimes qui statuera dans le cadre de ses fonctions juridictionnelles. Les démarches des victimes se trouvent donc largement simplifiées.
Enfin, le projet de loi comporte de nouvelles dispositions pour améliorer la prise en charge des détenus nécessitant des soins. Sans remettre en cause le principe des réductions de peine, il le conditionne beaucoup plus fortement que ce n’est le cas aujourd’hui. En l’état actuel, la loi prévoit que seuls la bonne conduite et les efforts de réinsertion des détenus justifient une réduction de la peine, mais il est apparu que ces remises étaient devenues trop automatiques. Ainsi, son mauvais comportement en détention n’a pas empêché que Francis Évrard bénéficie de remises de peine.
Il faut que les détenus intègrent mieux les conditions posées pour bénéficier de diminutions de peine. Ces conditions sont en effet la garantie d’une meilleure réinsertion ; elles doivent être vérifiées et, si elles ne sont pas respectées, les réductions de peine doivent être écartées, conformément à la loi.
C’est pourquoi, dans le prolongement de la loi du 10 août 2007, le détenu qui refusera des soins en détention pourra se voir retirer toutes ses remises de peine. Le refus de soins sera désormais assimilé à une mauvaise conduite.
Afin de renforcer le suivi médical, l’échange d’informations entre le médecin intervenant en milieu carcéral et le médecin qui suivra le détenu à sa sortie de prison sera amélioré. De même, les soignants devront signaler au chef d’établissement les détenus dangereux, de manière à assurer la sécurité des personnels intervenant en milieu pénitentiaire et celle des autres détenus.
Telles sont les grandes lignes de ce texte tout à la fois protecteur pour nos concitoyens et respectueux des droits des personnes.
……
La garde des sceaux a d’abord répondu que si le texte limite la rétention de sûreté aux auteurs de crimes graves commis sur des mineurs de quinze ans, c’est parce qu’un champ beaucoup plus large aurait fait courir un risque d’inconstitutionnalité en raison de la difficulté à définir la notion de dangerosité, étant rappelé que 50 % des personnes placées sous surveillance judiciaire aujourd’hui l’ont été en raison d’atteintes sur des mineurs de moins de quinze ans. Cela étant, elle ne s’est pas déclarée foncièrement opposée à élargir le champ de la loi aux mineurs, dans leur ensemble.
Concernant les centres socio-médico-judiciaires, outre naturellement la tutelle du ministère de la justice, celle du ministère de la santé s’explique par l’absence de médecine pénitentiaire. La formation professionnelle et la réinsertion relevant pour leur part de l’administration pénitentiaire, élargir cette double tutelle à celle du ministère des affaires sociales risquerait d’être source de complication.
Pour ce qui est de l’hypothèse de confier aux chambres d’application des peines le soin de décider d’une rétention de sûreté, elle a rappelé qu’il s’agissait d’autorités juridictionnelles, alors que la mesure de rétention constitue non pas une peine, mais une mesure de sûreté. Attribuer la décision de rétention de sûreté à un tribunal ou aux chambres d’application des peines en ferait donc une mesure juridictionnelle, ce qu’elle n’est pas. Quant à accorder au préfet la possibilité de la prendre, outre le fait que le juge est constitutionnellement garant des libertés individuelles, c’est toujours l’autorité judiciaire qui apprécie la responsabilité après expertise. Il est donc naturel qu’il revienne à un magistrat de statuer dans le cadre de ces commissions régionales et de cette commission nationale qui ne constituent ni des autorités juridictionnelles ni des autorités administratives stricto sensu.
En ce qui concerne le respect des droits de la personne retenue, la garde des sceaux a souligné que le texte reprend scrupuleusement l’avis du Conseil d’État en la matière. De même, s’agissant du droit au procès équitable, le projet prévoit la possibilité de comparution devant la chambre d’instruction de la personne présumée responsable, évidemment si son état le permet.
Elle a considéré par ailleurs que la limitation, par la loi de 2000, de la détention provisoire à une période de quatre mois renouvelable ayant été une avancée, elle ne serait pas opposée à accorder un même délai à la chambre d’instruction pour statuer.
Elle a également souligné que l’expérimentation à Fresnes étant déjà possible à moyens constants, elle n’entraînera pas de surcoût, et a indiqué que trente personnes pourront y être accueillies.
Revenant, enfin, sur l’hospitalisation d’office, elle a fait observer qu’il convenait de distinguer les mesures de sûreté prononcées par l’autorité judiciaire des mesures d’hospitalisation d’office, qui ne peuvent être revues sans une remise à plat de la loi de 1990.
Après que le président Jean-Luc Warsmann eut indiqué que la commission sera attentive au coût de l’expérimentation menée à Fresnes puisque la structure mise en place est appelée à être dupliquée, M. Michel Hunault, estimant que l’état du droit en matière de sécurité des personnes n’est pas satisfaisant, a d’abord souligné que légiférer était légitime, même si cela doit apparaître comme étant fait sous le coup de l’émotion, car l’actualité est suffisamment ponctuée de crimes commis par des personnes qui ont déjà tué pour que l’on fasse droit aux souhaits des familles qui, n’étant le plus souvent animées ni par la haine ni par la vengeance, demandent simplement que le risque de récidive soit évité.
Il a ensuite demandé qu’il n’y ait plus de remise automatique de peine pour les récidivistes les plus dangereux. Certes, le refus de se soumettre à une obligation de soins rendra possible une nouvelle rétention de sûreté, mais la garde des sceaux a elle-même cité le cas d’une personne qui, condamnée à vingt-sept ans de prison, avait été libérée au bout de dix-huit ans. Dès lors, comment faire en sorte que la dangerosité soit prise en compte avant toute remise de peine ?